A 8 000 kms de la métropole, la Martinique est un département français (une région récemment) peuplé de 360 000 habitants et vaste de 1080 km 2. Cette modestie géographique reflète mal l'importance qu'elle a jouée tant dans le passé que maintenant pour l'implantation et le renforcement de la présence de l'impérialisme français dans la région des Antilles et des Caraïbes, voire au-delà
4/2/99
Tête de pont de la présence française
Pour l'anecdote au 19ème siècle, l'un des 2 premiers télégraphes existant dans l'empire français se trouvait à Saint-Pierre (L'autre étant à Paris). Saint-Pierre, surnommée à cette époque Petit Paris, fut la capitale de la Martinique avant d'être détruite par l'éruption volcanique de 1902 qui a fait plus de 30 000 morts. La Martinique fut le centre du dispositif de la traite des esclaves et de la conquête d'autres territoires environnants. Les procédés de la cristallisation du sucre et de la distillation du rhum ont été propagés à partir là aux autres possessions françaises environnantes. Les Martiniquais formés à l'école coloniale française servirent de relais dans les autres parties de l'empire français : Afrique, Asie. Le cas le plus célèbre fut celui du martiniquais Félix Eboué qui fut gouverneur général de l'AOF (l'Afrique Occidentale Française). La révolution bourgeoise de 1789 a aussi dessiné une particularité fondamentale de la Martinique. En ce moment, les propriétaires d'esclaves et de toute l'économie ont vendu l'île aux anglais. Cette manoeuvre a sauvé leurs vies et leurs "biens". Par contre dans les autres colonies françaises, les esclavagistes ont été massacrés ou se sont enfuis. C'est le cas par exemple de la Guadeloupe et de Haïti (ex Saint-Domingue). C'est seulement après la victoire de la réaction thermidorienne que l'esclavage a été rétabli en 1801 par Napoléon. Rappelons que ce dernier fut marié à la Martiniquaise Marie Joséphine liée aux castes esclavagistes. Cette continuité a eu une conséquence fondamentale sur le poids économique des békés (descendants des propriétaires d'esclaves blancs) et la mentalité des martiniquais (métis ou noirs). Un maintien de la paix sociale exigea un peu de carotte. Il s'ensuit que la politique d'assimilation est plus achevée en Martinique que partout ailleurs. Ainsi, on trouve plus de martiniquais plus complexés, reniant leurs origines africaines et essayant d'être plus blancs que les blancs. Même dans la sous-région, le Martiniquais se comporte avec la même arrogance et le même sentiment de supériorité qu'un français moyen afficherait dans les pays du tiers-monde. La préservation et le développement des békés se font sentir non seulement en Martinique, mais dans tous les départements et territoires d'Outre-mer (Guadalupe, Réunion, Calédonie) et même en Floride aux USA, avec dans leurs soutes comme cadres les Martiniquais descendants d'esclaves avec qui ils partagent la langue créole. Cette "collaboration" crée des sentiments d'animosité entre martiniquais et guadeloupéens. Le béké et le Martiniquais (métis ou noir) considèrent au même titre le métropolitain fraîchement débarqué comme un étranger.
La célébration de l'abolition de la traite.
L'année 1998 est le 150ème anniversaire de l'abolition de traite des Noirs et non de celle de l'esclavage. Car l'esclavage continue sous forme classique dans certains pays et sous sa forme salariée presque dans le monde. C'était l'occasion pour les autorités de créer une union sacrée à fins de récupération en diluant l'événement dans une envolée folklorique. Durant toute l'année, la célébration servait de générique aux journaux télévisés locaux. Les forces de gauche (en général indépendantistes) ont boycotté toutes ces commémorations officielles. Elles ont surtout célébré la révolution de 1848 et la révolte des esclaves du 22 mai 1948 qui a abouti à leur émancipation bien avant le décret d'abolition arrivé de métropole. En outre, elles dénoncent ces festivités comme une farce dans la mesure où la Martinique vit toujours de fait une situation coloniale. Cet anniversaire était l'occasion pour les forces anticolonialistes de faire revivre toute la tradition de luttes, souvent ignorées, depuis fort longtemps du peuple martiniquais. Dieu sait qu'il y'en a eu beaucoup ! A commencer par la révolte de 1870 pour la réforme agraire et l'indépendance dirigée par une femme de 19 ans Lumina SOPHIE. En 1959, une insurrection a duré 3 jours à la suite d'un incident raciste. Les manifestants scandèrent : "Vive Cuba, Vive Castro ". L'influence de la révolution cubaine fut alors très forte sur le mouvement national en gestation. En 1973, la visite de Pierre Messmer, ministre des DOM-TOM, était marquée par des manifestations très violentes. En 1974, eut lieu une grève de 2 mois et demi des ouvriers agricoles dirigée par le GAP (Groupe d'Action Prolétarienne). Elle fut victorieuse, mais se solda par 2 morts et 15 blessés dans le rang des ouvriers. Cette éruption sociale ne pouvait continuer sans mettre constamment la paix sociale dans l'île.
Désamorcer la poudrière
Vu ce qui vient d'être, les éruptions en Martinique ne sont pas uniquement d'origine volcanique. Après avoir vainement tenté de diaboliser et de discréditer les indépendantistes, le gouvernement français sous la houlette de Messmer va créer le BUMIDOM (Bureau de Migrations des DOM). Par cet organisme, des milliers de jeunes et moins jeunes, plus ou moins désoeuvrés, sont envoyés en métropole pour occuper des postes de facteurs, de policiers, d'agents hospitaliers etc. La politique de l'impérialisme français est claire et cynique : Favoriser à la fois l'émigration des martiniquais et l'immigration des métropolitains. Ce procédé de tuer la révolte dans l'oeuf peut s'apparenter à un " génocide par substitution ". C'est vrai que génocide est plus " soft " que celui subi par les Kanaks en Calédonie avec des massacres organisés en série. Mais la poussée du chômage en métropole fait que les Antillais sont maintenant concurrencés sur ces créneaux par les Français continentaux. Malgré "l'évacuation de ce trop-plein " pour que le couvercle ne saute pas, la situation sociale est toujours préoccupante (30% de chômage). L'État saupoudre des allocations (RMI, chômage) et essayer d'entretenir un climat d'assistanat et de consommation. Le résultat est que, d'une part on constate un flot de consommation (par exemple 180 000 véhicules pour 360 000 habitants, soit en moyenne 2 voitures par ménage), d'autre part la croissance de sans-abri, de la délinquance, de la toxicomanie et de la prostitution.
Problème de la terre
S'il existe une hérésie dans le cadastre et le POS (Plan d'Occupation des Sols) dans le système français, c'est bien en Martinique. Après l'abolition, les békés restent les principaux propriétaires de terre. Pour l'exploitation ou l'habitat, des lopins de terres leur ont été concédés (sans titres de propriété) ou cédés sur les collines, bien sûr les terres les moins fertiles. Ceux qui n'ont pas cette chance se sont rabattus sur les "50 pas géométriques" pour y construire des logements (souvent de fortune) qui sont la première cible des cyclones. Les "50 pas géométriques" se situent sur la bordure de la mer et sont propriété de l'État pour des raisons de "défense nationale". Avant la révolution de 1789, ils étaient appelés les "50 pas du roi". Ainsi, beaucoup de martiniquais se trouvent sans titre de propriété sur des terres où leurs ancêtres ont vécu depuis des siècles. Ils sont en butte à des menaces d'expulsions ou d'expropriation de la part de l'État ou des propriétaires békés. La question de la terre revêt une importance centrale, pour ne pas dire vitale. Tout projet réellement révolutionnaire ne pourra faire l'impasse sur une profonde et radicale réforme agraire. En attendant, plusieurs luttes se focalisent autour du maintien de quartiers ou de maisons menacés de déguerpissement.
Une population assez bigarrée
Les Indiens caraïbes sont les populations originaires de ces régions. Les seuls survivants sont en Guyane. Ils doivent leur survie à l'inhospitalité des forêts reculées où ils se réfugièrent. Après le pillage de l'or et de l'argent de l'Amérique, commença le génocide des indiens par les impérialistes européens. Il fallait "mettre en valeur" les terres, il fallait chercher de la main d'oeuvre. La "racaille française" fut l'objet des premières expérimentations qui se soldèrent par un échec car non seulement ils supportèrent mal le climat, mais surtout et surtout en s'enfuyant ils se mélangèrent très facilement avec la population locale. D'où l'idée de la traite des Noirs et la relation de causalité existant entre le génocide des indiens et la traite des Noirs. Les viols des femmes noires par les propriétaires d'esclaves donnèrent naissance aux mulâtres ou aux métis. Après l'abolition, les anciens esclaves ne voulaient plus travailler dans la canne à sucre et ils furent remplacés par les Indiens importés d'Asie (les coolies). Après les années 60, on assista à une immigration des boat people (vietnamiens, chinois) et des libano-syriens. Le tableau n'est complet si on n'ajoute pas les métropolitains (les métros dans le jargon local) en général des fonctionnaires qui empochent un sursalaire de 40 % à cause des rigueurs de "l'hiver antillais" et bénéficient de nombreux privilèges fiscaux. Au final, le kaléidoscope martiniquais est composé de békés, de métros, d'asiatiques, de coolies, de mulâtres et de martiniquais noirs. Ces clivages de "castes" ou de langue (le créole pour les békés et les descendants d'esclaves), sans annihiler la lutte des classes, obscurcissent les conditions de son développement.
Structure de l'économie
Elle est typiquement coloniale et complètement extravertie. Sans tomber dans l'apologie de l'autarcie (irréaliste de toute façon), ils exportent toute leur production et importent tous les produits consommés. Dans l'agriculture, les principales cultures sont la banane (110 000 tonnes par an), l'ananas et la canne à sucre. La banane a supplanté la canne à sucre comme principale production à cause des contraintes imposées par la France et aussi l'Union européenne. Il ne faut pas concurrencer le sucre de betteraves européen dans un marché mondial très concurrentiel. Pourtant d'un point de la rentabilité strictement capitaliste, sans subventions la canne à sucre serait plus rentable que la banane. Même certaines rhumeries sont alimentées à partir de la canne importée de Cuba. La place de l'industrie est faible : agroalimentaires, distillation de rhum (rhumeries), quelques industries légères de biens de consommation. Le haut du pavé est occupé par les services : import-export, tourisme, le BTP, transports (voiliers). La "défiscalisation" fait pousser partout des hôtels comme des champignons après la pluie. Elle favorise l'achat de voiliers inutilisés ou utilisés privativement par le biais de sociétés écrans basées dans les paradis fiscaux (Îles Caïman, Bahamas, St Martin etc.). Le but de l'opération est d'échapper à l'impôt sur les grandes fortunes ou à l'impôt tout court. Il faut noter qu'après la région de l'Île de France, la Martinique occupe la deuxième place pour la levée de l'impôt sur les grandes fortunes. C'est plus facile de s'enrichir si on n'a pas payé sa "main-d'oeuvre" pendant des siècles. Pour caricaturer, les secteurs économiques sont stratifiés selon les castes. Les békés (à peine 1% de la population, 3600 individus) possèdent l'essentiel des terres, contrôlent 70% de l'exportation de la banane, 40 % de la production de canne à sucre, plusieurs monopoles d'importations. Ils contrôlent aussi 75 % de l'industrie (hors raffineries et hydrocarbures), mais seulement 5% du BTP (secteur pas très noble pour des békés qui ont tous acheté des titres de noblesse). Les coolies dominent les transports tandis que les Asiatiques occupent le créneau de la petite distribution et des pièces détachées automobiles. Le textile est la chasse gardée des libano-syriens. Les professions libérales (avocats, médecins, architectes) reviennent en grande partie aux mulâtres.
Conflit de la banane
Au niveau de l'actualité récente, la grève des ouvriers de la banane a défrayé la chronique. La revendication portait sur les augmentations de salaire. Tous les syndicats de l'île s'étaient réunis dans un front commun. Cette grève a duré plusieurs semaines et presque affecté tous les secteurs. En effet, non seulement les ouvriers ne travaillaient plus dans les champs, mais ils avaient bloqué le port de Fort de France (le seul accueillant des bateaux de grande importance). Les négociations entre les planteurs et les ouvriers s'enlisaient car les planteurs refusaient les augmentations de salaires en invoquant d'une part l'alignement récent du SMIC antillais sur celui de la métropole, d'autre part la concurrence de la banane d'Amérique latine avec ouvriers moins bien payés. Pourtant les planteurs ne crachent pas sur les subventions et les tarifs préférentiels de l'Union européenne dans le cadre de l'OCM-Banane (Organisation Communautaire du Marché). La grève s'est terminée par une contribution aux salaires de l'État et du Conseil Régional. A la satisfaction des planteurs qui ont des statuts différents selon le nombre d'hectares exploitées, selon qu'ils louent ou non leurs terres. Cette grève accélérera la concentration de la production par les ruines des petits producteurs dont les bananes ont pourri sur terre. Les planteurs sont d'origine diverse (békés, métis, noirs). Comme le disait un antillais de la rue, " Être grand planteur, ce n'est pas une question de couleur de peau, mais une question de nombre d'hectares ". C'est à l'aune de cette maxime qu'on pourra juger prochainement la position des partis de la gauche radicale : défense d'une caste ou défense de la nation ou défense des ouvriers exploités !!!
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Réactions
Première réaction
Mon cher pote,
...et encore
Réponse d'herzend