Le web est mort, Vive le $-web
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Le web est mort, Vive le $-web

Vendre ! Vendre n'importe quoi, mais vendre tout de suite !!!

La croissance du commerce en ligne est tel que les entreprises les premières arrivées sont dans une logique de conquête, de ruée vers l'or électronique. Mais pour être efficace, pour assumer cette ambition, le commerce virtuel nécessite d'énormes investissements de ces sociétés entreprises qui sous la promesse de gagner de l'argent attirent les capitaux et entraînent les autres boites traditionnelles dans une course risquée. Le passage par la bourse devient obligatoire (août 1999, 66 compagnies internet, ont mis leurs actions en bourse, contre 19 en août 1998 - AFP) et cette bulle financière gonflée aux hormones qui grossit en permanence autour de ces valeurs n'est pas sans inquiéter certains spécialistes : « Les investisseurs s'inquiètent de plus en plus de la qualité des résultats des sociétés américaines au cours des deux à quatre prochains trimestres, c'est difficile d'être optimiste sur des compagnies qui ne devraient pas être bénéficiaires avant deux, trois ou cinq ans » Mace Blicksilver responsable de la firme de courtage Marblehead Asset Management (AFP).

Il est intéressant de voir comment le secteur de la livraison à domicile se développe en parallèle. Voilà une catégorie d'entreprises qui bénéficient directement de la triviale réalité des produits achetés en ligne. Entrée en bourse d'UPS le 10/11/99 et le gain de 40% des actions le premier jour de cotation.

« l'internet devrait peser pour plus de 1.000 milliards de dollars (952 milliards d'euros) dans l'économie mondiale en 2001 et s'approcher à grands pas des 3.000 milliards de dollars en 2003, selon une étude publiée par le cabinet d'analyse International Data Corporation (IDC). Dans les premières années de l'économie internet, les investissements étaient centrés sur les produits et services technologiques pour renforcer l'infrastructure, atteindre une masse critique et introduire les utilisateurs en ligne au commerce » électronique, a indiqué Anna Kerr, analyste de la division Stratégies internet et de commerce électronique d'IDC. « Maintenant, les dépenses non directement technologiques remontent lentement. Les fonctions marketing et commerciales, ainsi que la création de contenu vont être essentielles pour améliorer l'expérience internet et stimuler le commerce en ligne », ajoute t'elle. « Pour chaque dollar de chiffre d'affaires généré par le commerce en ligne en 1998, 93 cents ont directement été investis dans l'infrastructure correspondante, selon l'étude. IDC prévoit que les entreprises devraient augmenter de façon significative leurs investissements pour améliorer ce ratio d'ici 2003. » (AFP)

On voit mal comment le web non commercial pourrait survivre à une telle pandémie sinon à être et rester confidentiel. Mais il servirait alors d'alibi et de justification à tous les débordements. Cette inquiétude ne fait que croître quand ressort le serpent de mer de la taxation des e-mails, la dernière invention du système pour faire de l'argent avec internet et pour soumettre ou détruire les organisations indépendantes pour lesquelles le courrier électronique est le moyen le plus efficace pour diffuser leurs informations.

Pour les amateurs qui ne dispose que du web pour s'exprimer et qui n'ont aucun soutien il n'y a pas d'autre solution que le dévouement, le bénévolat, les aides ou la publicité. La surenchère technologique apparaît ici d'évidence comme le meilleur moyen d'asservir. L'obligation qu'elle entretient d'avoir sans cesse un meilleur matériel, un meilleur réseau, plus de mémoire, un meilleur ceci ou cela (sous prétexte évidemment de performances et de liberté) n'est qu'une subtile manière de contraindre l'individu à consommer et de limiter ses velléités d'indépendances par la contrainte économique.

L'enchaînement est clair.

Alors ne resteront libres sur le réseau que les individuels qui créent cette multitude de pages web sans intérêts sur lesquelles s'expriment la famille autour d'un éléphant apprivoisé dans un camp de vacances face aux mammouths multinationaux ou transnationaux qui transforment la toile en un piège gluant dont les bandeaux publicitaires sont les points de colles.
Pour éviter un tel champ de ruine, une défaite irrémédiable, les médias indépendants essaient de s'organiser sur le web lui-même autour de quatre mots importants : indépendance, liberté, non-commercial mais également viable sans lequel la liberté n'est qu'un songe.

  • Le web indépendant : c'est l'ensemble des sites qui ne doivent leur existence et leur pérennité que par la volonté de leurs créateurs et des personnes qui les font vivre. Ont-ils besoin d'argent qu'ils vendront quelque chose, qu'ils rendront un service, qu'ils éditeront des oeuvres, mais de toutes ces actions ils resteront les maîtres. Pas de droit de cuissage au « provider », pas de rente aux poseurs de bandeaux, pas de système d'échange dont ils ne maîtrisent que mal les tenant et les aboutissants.
  • Le web libre : c'est le réseau qui accueille aussi bien les infos concernant le chiapas que celle du RPR, c'est celui qui permet au passionné, au collectionneur dans son petit coin d'aller de site en site chercher le chaînon manquant à sa vie.
  • Le web non commercial : c'est l'idée qu'on peut utiliser le média pour autre chose qu'uniquement se faire des roubignolles en or. Des sites associatifs, des sites personnels, des sites contestataires, des sites de service etc.
  • Le web viable : toute la problématique est la. Etre webmestre est un travail important, alimenter un site demande des ressources rédactionnelles etc. La quadrature du cercle selon laquelle un site amateur, libre, indépendant, non-commercial permettrait à ses rédacteurs d'en vivre et de le faire vivre est incontournable. On s'aperçoit ici que ce n'est peut-être pas la e-publicité, le e-commerce qui sont condamnables mais la surenchère. Des pistes existent comme des partenariats avec des associations, des institutions, des gestions communes de sites qui permettraient de partager des ressources techniques (chères) entre plusieurs entités différentes etc. Peut-être du côté des journaux gratuits y a t-il des idées à prendre ? Comment faire des périodiques rentables qui ne coûtent rien au lecteur ? Toutes les propositions sont les bienvenues.


Alors que faire ?

S'auto-détruire comme le fit en son temps La Rafale ?
Se soumettre et inonder son site de bandeaux racoleurs proposant la vente de pastilles Fuca à un prix défiant toute concurrence ? On pense avec une certaine émotion à la transmutation qu'a subit le mythique « provider » mygale pour devenir par un coup de baguette logique multimania. Aujourd'hui, il suffit de cliquer sur http://www.mygale.org/ pour arriver « spontanément » chez multimania.

Ou prendre le réseau à son propre jeu en l'utilisant pour créer une seconde entité, un réseau parallèle riche de toutes les initiatives, de toutes les créations individuelles, un système d'indexation des sites voisins, des points de rencontre et de référence, les lieux de convergences. Si l'on constate un essoufflement d'inspiration dans beaucoup de sites amateurs, internet peut être utilisé avec succès dans un rôle d'outil de communication idéal (facilité d'utilisation, facilité d'accès, rapidité, fiabilité) au service d'autres médias, d'autres causes, par exemple les SEL (systèmes d'échanges locaux) par exemple. Espérons que cette synergie soit l'étape de la maturité pour le web indépendant et laissons les tyrannosaures grossir et exprimer leur anthropophagie sur eux même (il y a beaucoup plus à manger), continuons ce qui fit l'originalité du réseau, de petites entités créatrices, volontaires, dynamiques qui naissent, meurt et renaissent ailleurs.

Question bête : Sur les ondes aujourd'hui la liberté et la créativité sont sur le service public ! Faudra-t-il un web de service public pour résister aux multinationales de la fast-info et permettre à tout un chacun d'avoir un espace réservé ?


Nicolas Woerner © le Soleil se lève à l'Est - 22/11/1999 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum