Les larmes du matin
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Les larmes du matin

J
e me suis éveillé ce matin en pleurant. Oh, pas les grandes eaux, non. Plutôt de lentes larmes qui coulent le long de la joue et meurent, presque sèches lorsqu’elles quittent le visage.
Et puis ça a continué. Devant un vieux bol fumant et une bonne baguette beurrée, d’autres sont venues. « Papa, pourquoi tu pleures ? ». Que pouvais-je répondre à ma fille de 9 ans ? Comment lui dire l’angoisse ? Alors j’ai accusé le soleil naissant et son reflet dans l’aquarium.
Durant le trajet vers mon bureau, le soleil m’a encore ébloui. Encore ses satanées larmes qui me submergeaient. Que pensaient tous ces gens dans leurs voitures, leurs camions ? Avez vous déjà imaginé toutes ses personnes qui vous entourent lorsque vous être pris dans la nasse d’un embouteillage ? Comme une manifestation qui n’aurait aucun sens ! Peut-être que d’autres voyageurs du quotidien ont également une larme qui glisse. Sans doute, d’autres ont le sourire du carnassier qui va bientôt prendre sa proie à l’échine.
Ce dimanche, je l’avais prévu. Enfin, je l’avais dit cinq jours avant avec le secret espoir de celui qui touche du bois discrètement pour conjurer le sort.

Ce matin, je suis un peu comme lorsque mon père était mourant. Les tuyaux opaques de sa chimiothérapie laissent deviner l’issue mais il était encore présent, à parler du prochain Noël avec ses petits enfants, mes enfants. Ses projets étaient comme des digues pour retenir les larmes. Mais souvent le soir, elles cédaient et je pleurais dans les bras de ma mie. Il était déjà mort mais ne le savait pas. Sa femme ne voulait pas le comprendre non plus. C’était normal. Alors moi, dans ma responsabilité de fils aîné je rassurais ma mère. J’estompais l’espoir de rémission tout en masquant l’ombre de la faucheuse qui attendait son heure. Il me fallait prendre ma mère dans mes bras comme je le faisais de mes enfants. Eux comprenaient sans mot que « nono » allait partir.

Ce matin une larme a séchée à la commissure de mes lèvres quand j’ai menti à ma fille. Elle l’a très bien compris.
Canan Henri © le Soleil se lève à l'Est - 25/04/2002 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum