L'AMI, ennemi
home / Magazine / Société /
L'AMI, ennemi

  Société

01/11/1998

L
  Le capitalisme, c'est la catastrophe !
es riches qui deviennent plus riche et des pauvres de plus en plus nombreux. Chaque année le PNUD délivre ce constat insuportable sans que rien ne change.
28/07/1999
L
  L'AMI, ennemi
'Accord Multilatéral sur les Investissements met en danger notre indépendence face au groupes multinationaux. Les états laisseront-ils ces groupes décider en lieu et place des citoyens?
16/12/1998
M
  Entretien avec Michel Aglietta
ichel Aglietta, spécialiste d'économie monétaire internationale répond à nos questions (exclusivité solest).
28/11/1998
D
  Vive les clonettes du célèbre clone François !
e l'avenir du clone...
Le pin's "touche pas à mon clone" est en cours de fabrication. Quel droit régira les rapports entre modèle et cloné?
14/11/1998
l'ENNEMI des travailleurs et des peuples opprimés

Depuis le 19 ième siècle, plusieurs transnationales se sont constituées dans le sillage de l'expansion coloniale de leurs États respectifs pour la conquête des sources de matières premières et le contrôle de marchés captifs pour leurs produits, dans une certaine mesure pour répondre au développement du commerce entre pays impérialistes et/ou coloniaux. Déjà à cette période, le capital financier et l'exportation avaient une place prépondérante parachevant ainsi l'internationalisation du capital (Voir Nicolaï Boukharine dans l'Économie mondiale et Rudolf Hilferding dans le Capital financier) De ce point de vue, la "mondialisation " tant clamée dans les coins et recoins n'a rien d'une nouveauté. La seule différence est l'ouverture à la concurrence à des secteurs jusqu'à présent protégés du service dit public. Les restructurations induites par la seconde guerre mondiale, les besoins de reconstruction, l'explosion de nouveaux secteurs telle que l'industrie automobile n'ont fait qu'accroître le rôle et la puissance des transnationales. Mais jusqu'à présent, les accords et les textes régissant les relations économiques et financières internationales (commerce, investissements etc.) avaient comme protagonistes des États soit dans un cadre bilatéral, soit dans cadre multilatéral (FMI, Banque Mondiale, GATT, BIT etc.). C'est là qu'un saut a été franchi grâce à l'AMI (Accord Multilatéral sur les Investissements), la "sacro-sainte souveraineté " des États (pour ceux qui en avaient !) ne constituerait plus d'obstacle à la recherche maximale du profit par les transnationales. Avec l'AMI, les États pourront être traînés comme de vulgaires inculpés devant des juridictions privées.

Le contexte d'apparition

C'est à partir de 1995 dans la foulée des négociations de l'OMC que l'AMI commençait à être négocié dans le cadre restreint de l'OCDE qui regroupe qui principaux pays capitalistes développés de la planète (pardon les pays industrialisés !). Ces négociations surviennent dans un contexte marqué par la libéralisation et la déréglementation des années 80 et 90 : privatisations, libéralisation des changes, libéralisation du marché du travail (par exemple la suppression des "rigidités telle l'autorisation administrative de licenciements en France). En outre, les monopoles d'États ou nationaux dans les domaines du "service public " sont battus en brèche : privatisation et libéralisation progressive des secteurs de l'énergie, des télécommunications, transports, sécurité sociale (fonds de pension) etc. Pourtant, ces monopoles étaient utilisées jusqu'au dernier moment comme instrument de soutien à tel ou tel secteur ou aussi comme moyen de maintenir une certaine paix sociale (Par exemple l'alliance du productivisme de la CGT et du gaullisme à EDF ...). Mais la concurrence économique exacerbée, l'instabilité politique dans les pays de l'Est suite à l'effondrement de l'URSS, mais aussi dans d'autres régions du monde sont les principales raisons qui ont conduit à l'élaboration de l'AMI.

La nature de l'AMI

L'AMI est négocié depuis 1995 dans le cadre de l'OCDE qui regroupe les 29 pays les riches de la planète abritant plus de 90% des sièges des transnationales. L'accord avait vocation à s'étendre à tous les pays de la planète. Pour les autres pays exclus des négociations, ce serait un véritable diktat, c'est à prendre ou à laisser avec toutes les pressions imaginables en cas de refus de signature. Le but selon l'OCDE serait de définir une réglementation unifiée des investissements dans le monde de façon qu'il n'y ait pas de discrimination entre les investisseurs locaux et les investisseurs étrangers, "une constitution de l'économie mondiale unifiée " selon le directeur de l'OMC. Les domaines d'application de l'AMI englobent tous les secteurs et les produits : biens, services, produits financiers (actions, obligations etc.), propriété foncière, propriété forestière, brevets, propriété intellectuelle etc.

Des proclamations fumeuses d'équité et non-discrimination, il n'en reste rien dès lors que les principales dispositions de l'accord consistent à lutter et à sanctionner non seulement "les restrictions à l'investissement ", mais aussi "toute perte d'opportunité de profits " due à une décision d'un gouvernement. Ainsi toute décision d'un gouvernement dans le domaine social, écologique ou de souveraineté nationale portant atteint aux profits d'une firme peut être attaquée par cette dernière devant une juridiction internationale privée "très impartiale " : la CCI de Genève, la Chambre Internationale d'Industries. Il ne faut pas être clerc pour savoir que le verdict sera l'annulation des décisions du gouvernement et le versement de fortes indemnités. Ce qui est hallucinant en parcourant les différents articles, c'est que seules les firmes sont bénéficiaires des droits, par contre les devoirs incombent seulement aux pays. Une des particularités est l'irréversibilité des acquis pour les entreprises. Ce qui est acquis est acquis ! L'AMI s'appliquera durant 20 années sur un pays après son retrait et sa dénonciation de l'accord. Autre trait caractéristique qui ne manque pas de sel, c'est la rétroactivité des dispositions favorables aux firmes. Ce ne serait plus ainsi un jeu de l'esprit qu'on puisse remettre en cause la nationalisation du pétrole algérien en 1962, du Canal de Suez en 1956 par Nasser, de la terre à Cuba en 1959 etc. Pour terminer sur les perles de l'AMI, les gouvernements sont responsables des dommages causés par les "troubles civils" : grèves, révoltes, boycotts et pourquoi pas tant qu'on y est la révolution ! Cette mesure constitue un grand danger pour les travailleurs de tous les pays et le mouvement syndical.
D'ores et déjà, on peut voir à travers l'exemple de certains traités comme l'ALENA en Amérique du Nord ce que pourrait nous réserver l'AMI.

Des avant-goûts de l'AMI

Le gouvernement canadien avait interdit à la société Ethyl d'ajouter dans les carburants un composant (le MMT) qui affaiblit la protection contre la pollution. S'appuyant sur les dispositions de l'ALENA, l'Ethyl a attaqué le gouvernement canadien qui a non seulement annulé sa décision, mais a aussi payé une forte indemnisation d'environ 250 millions de dollars pour "perte d'une opportunité de profits". De même, le gouvernement mexicain a été obligé suite à l'ALENA d'abroger de sa constitution toutes les mesures relatives à la réforme agraire datant de la révolution mexicaine. Le résultat ne s'est pas fait attendre : les agro-business US ont acheté des millions d'hectares de terre mettant sur la paille plusieurs milliers de paysans. Au vu de cela, quel pari pourrait-on faire sur la redistribution des terres aux paysans pauvres de certains pays du "tiers-monde" ?
Une chose est sure, c'est si l'AMI existait depuis le années 70 et était appliqué, Mandela serait toujours en prison. Car il interdirait les boycotts et les embargos qui ont beaucoup contribué à la chute de du régime d'apartheid.

Pourquoi l'AMI aujourd'hui ?

Si l'AMI est d'actualité, ce n'est nullement le fait du hasard. Il est surtout dû à la grave crise de suraccumulation du capital, la concurrence exacerbée entre de très grands mastodontes industriels et financiers. Dans ce contexte, toute "instabilité", tout "trouble" menace le taux de profit. Or c'est le cas avec l'instabilité politique dans les pays de l'Est avec en plus une emprise plus forte des maffias, l'instabilité financière en Amérique latine et en Asie du Sud-Est (et politique pour la Thaïlande et l'Indonésie). L'AMI est surtout dirigé contre ces menaces dans la mesure où les relations entre les transnationales et les grands pays capitalistes (USA, France, Japon, Allemagne etc.) ne posent pas problème du fait de l'interpénétration réciproque et de leur puissance. D'ailleurs, le personnel politique de ces Etats conseillés par leur patronat qui en a été l'initiateur. Tout comme au niveau national, par la presse, l'argent (financement des campagnes), ces capitalistes désignent le personnel politique, ce dernier ne peut que faire leur politique au niveau national et au niveau international. L'indépendance des politiques vis à vis du capital est aussi illusoire que celle de la tête par rapport au cou. Certes, il faut lutter contre l'AMI qui constitue un sommet de la caricature que peut offrir le développement capitaliste, mais s'en limiter là ce serait faire le voeu pieux d'un capitalisme raisonnable, maîtrisable, sans excès odieux. De toute façon, avec ou sans AMI, le capitalisme continue de créer de millions de chômeurs, de sans-abri, de sans-terres, de sans-papiers. Il entretient aussi la guerre, la famine et engendre des catastrophes comme Bophal (Union Carbid).
Une lutte contre l'AMI ne serait conséquente que si elle s'attaque aux causes profondes. Autrement, ce serait semer des illusions sur la nature de l'Etat, prétendu garant de l'intérêt général. L'appel aux citoyens provenant de certains cadres de lutte contre l'AMI noient le poisson. S'il faut appeler les citoyens, tant qu'à faire pourquoi appeler Dassault, Bouygues, Chirac, Madelin qui, jusqu'à preuve du contraire, sont des citoyens français pour le cas de la France. Dans le contexte actuel pour ne pas tomber dans une généralité synonyme, un des axes anti-AMI serait de lutter pour la réduction massive du temps de travail ( 32 heures, voire moins) SANS PERTE DE SALAIRE, SANS FLEXIBILITÉ, SANS PRÉCARITÉ, SANS CONTREPARTIES et avec embauche correspondante des chômeurs, et cela dans tous les pays capitalistes développés.

Notes

IIl serait plus juste d'utiliser le terme transnationales que celui, hélas communément utilisé, de multinationales. Ce dernier accréditerait l'idée que des multitudes de nations en sont partie prenante alors qu'elles sont le fait qu'une poignée de nations d'Europe, d'Amérique du Nord et dans une moindre mesure d'Asie. Leur caractéristique n'est pas tant de représenter les intérêts de leur nation d'origine que de se jouer ( par une organisation souple et complexe sur divers domaines) des frontières et législations nationales en étendant leurs tentacules dans plusieurs du globe. La preuve, c'est Eriksson n'hésite pas à déménager son quartier général de Stocklom à Londres, si ses propres intérêts l'y incitent. Il faudrait nuancer ces propos en remarquant simplement qu'une transnationale US se comporte d'une manière plus "policée " en Allemagne que dans les maquilodoras du Mexique. En général, les transnationales occidentales se comportent de manière "cavalière " dans les "zones franches " des pays dominés ( pardon des pays en voie de développement !).

Herzend © le Soleil se lève à l'Est - 16/12/1998 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum