Retirons sa majuscule à internet
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Retirons sa majuscule à internet

L'initiation

Á l'aube du second millénaire, un nouveau Dieu apparut : Internet, que ses adorateurs affublaient d'un « I » majuscule pour mieux l'honorer. Les initiés nous prédisaient un village mondial ou des tribus se constitueraient par centre d'intérêt (des homosexuels aux yeux vairons jusqu'aux philatélistes spécialisés en Diana timbrée). Ils nous dessinaient une gigantesque démocratie mondiale ou enfin, chaque petit individu - nous, fourmis - pourrait devenir acteur au même titre que les autres. On en venait à rêver de la fin des puissants occulteurs de la parole des gens de peu.
La version 1 du navigateur au logo marin devait être chargé par ftp en utilisant les commandes et adresses réservées aux adeptes (open ftp.netscape.com) qui magiquement pouvaient ensuite lire des textes noirs sur fond gris avec quelques mots soulignés et colorés qui les envoyaient dans le vortex du savoir. Abysses de la connaissance, on pouvait croire que la mémoire du monde était à porté de souris.

L'adolescence

Le cyber-compagnon se donnait alors pour mission de visiter ce monde et de comprendre comment il se construisait. Armé de son petit éditeur de fichier texte, il tentait de faire sa propre page avec quelques liens sur ses sujets de prédilection.
Pendant que Microsoft - ne croyant pas à ce joujou pour universitaires - lançait son MSN propriétaire, les sites de passionnés foisonnaient. L'échange de lien était naturel. Le partage des trucs et astuces permettait de fignoler son site.
En rendant cette technologie compréhensible par le plus grand nombre, l'Internet se vit affubler d'un article. Une espèce de mot hybride commun par l'article, mais propre par la majuscule qui conservait.

La maîtrise

Quand notre Bill mondial s'aperçut que des millions d'internautes visitaient chaque jour Yahoo en utilisant NetScape, il offrit gratuitement son Explorer, avant de l'intégrer entièrement à son système. Les boursiers grégaires, en quittant leurs vestes colorées, entendirent qu'Amazon avait le plus grand achalandage de livres au monde et qu'à eBay on vendait de tout, du vieil Apple IIe à son propre rein.
Ce fut alors une foire d'empoigne mondiale. C'était à qui achèterait l'autre, qui utiliserait la dernière technologie ou imposerait la sienne, qui miserait le plus d'argent sur l'Altavista de demain ou l'AOL-Warner d'après-demain.
L'internaute était transformé par l'effet d'une formule magique en eCustomer (iClient pour les Français).
Les vrais Maîtres du monde avaient gagné.

Alors...

Écrit-on « le Téléphone », « la Voiture » ? Non, alors il faut remettre l'internet à sa place et lui retirer lui sa dernière décoration majuscule. La course à l'armement technologie et publicitaire condamne les sites qui refusent de ne s'adresser qu'à des consommateurs, à retourner jouer dans leur cours. La récréation est terminée.
Le formidable espoir de faire de chacun d'entre nous un acteur de ce nouveau monde est en train de finir en Titanic dans la piscine de l'oncle Picsou.

Épitaphe

Les thuriféraires n'y pourront rien. Les sites associatifs comme le nôtre sont condamnés à mourir de leur belle mort. Avec une larme pour l'utilité et l'énergie gâchée et un doigt pour composer le code de sa carte bleu.
Didier Rizzo © le Soleil se lève à l'Est - 09/01/2000 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum