Sur l'internet orthographe s'écrit ortograf
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Sur l'internet orthographe s'écrit ortograf

Il était une fois une règle et un outil.

La règle s'appelait orthographe (joli nom pour une règle, pourquoi pas Fôte ou Accent-circonflesque ?).
L'outil se prénommait Web.
Deux noms ô combien célèbrissimes. Le père de Web était l'Internet bien connu, lui-même fils d'une star parmi les stars, le bien nommé « Téléphone ». L'ancêtre, appelons le ainsi, eut un jour des fourmis dans les fibres et, pris du démon de midi, décida de s'affranchir des fils de cuivre pour devenir mobile (de plus en plus mobile !). Il est possible de voir ce Grand-père bigophone à ses débuts, tout jeune et carrossé comme une Peugeot 404 sur quelques vieux daguerréotypes sépia. Aujourd'hui, relooké par un décorateur italien il ballote à la ceinture de monsieur tout le monde en souriant de tous ses LCD(1). Souvenons-nous de ses débuts, si loin dans le temps que deux pots de yaourt Bulgare uni par un fil à coudre suffisaient pour communiquer. Le yaourtophone était né, la transmission par fil inventée et le mot « réseau » imaginé. Il allait évoluer jusqu'à devenir ce que plus tard on appellera les autoroutes de l'information, vecteurs de tous les voyages des donnés numériques : voix mais également musiques, textes, vidéos etc.
C'est ainsi que le web naquit.
C'est ainsi que le mélange des genres apparu.
C'est ainsi que « l'écrit » envoyé dans de jolies enveloppes blanches parfumées s'oralisa en se dissolvant dans le brouhaha ambiant.

Le snail-mail devint e-mail.

La lettre devint courriel(2).
Mais qu'elle est donc vieillotte cette lettre escargot écrite à la force du poignet ! Qu'elle est pathétique cette tentative pour donner une réalité au lien qui uni les êtres éloignés ! Comme si la création d'une ligne de papier était possible ! Comme si le carré de cellulose repassé, plié en quatre et glissé dans un emballage créait un trait d'union ! Comme si le message d'amour était l'éclair d'une feuille porté par une brise vagabonde (loin d'être carbonisé par la vitesse) que Big Brother regardait en souriant ! Cette lenteur d'un autre temps, de celui des steamers, des caravanes, de l'aéropostale de la pony-express amuse l'homme câblé. Célérité qui comme celle du gastéropode provoque un retard parfois important dans l'information. Retard quelquefois plein de charme et de surprise, retard qui relativise l'importance de la vitesse. Ainsi l'enterrement des feuilles mortes(3) et le printemps qui suivit illuminé du vert délicat des feuilles renaissantes.
Le pèse-lettre malheureusement n'est utilisé qu'au départ du courrier. A son arrivée il révélerait de bien belles surprise. Parions que le poids du message aurait considérablement augmenté. En proportion du temps de voyage ? Pari tenu ! Pari gagné ? A voir ! Il reste au lecteur de ce texte à écrire sur-le-champ.

quel plus blanc message que celui de l'amour

porté par une feuille portée par le vent ?

quel plus noir message que celui de la mort

livré à domicile par un éclair brillant ?

quel plus beau message que celui de l'espoir

quand la feuille et l'éclair sont perdu dans le temps ?

quelle plus belle scène que la vieille et le courrier vain

dans Kaos-le-sublime(4) des frêres Taviani ?



Ecrite avec attention par le migrant perdu ; Par un petit garçon pour sa grand-mère ; Par le voyageur lointain ; Par une dame amoureuse ; Cette missive va et vient comme le tapis volant des mille et unes nuits. Elle transporte les mots avec mille détails affectifs importants. L'enveloppe est précieuse, sa couleur, sa matière (l'écorce du bouleau en fait de superbes), et le plaisir de la recevoir tellement fort qu'il n'est pas nécessaire d'inciser ni d'éventrer l'écrin pour éprouver une émotion. Le premier flash de bonheur est celui de la réception. La deuxième étape ne se dit pas. La lecture est intime, personnelle, secrète et ne doit jamais commencer avant qu'une porte ne soit fermée.

S'asseoir à une table sortir son papier, pincer le stylo, écouter l'horloge qui dit oui, qui dit non, et commencer « la confiance » en silence. D'abord brouillon puis lettre finale elle est parfois recopiée avant d'être envoyée. Le double est rangé dans le minuscule tiroir secret d'un secrétaire empire. Malheureusement à cours d'argent, les petits enfants de l'aïeul videront le meuble avant de l'emporter à la salle des ventes. Dans des chemises grises les plus curieux découvriront des secrets, des merveilles, des voyages, des pages dont l'écriture pleine et déliée leur semblera une oeuvre calligraphiée comme sont les vieux registres d'états civils si beaux à contempler. Ils regarderont étonnés leurs propres poignets, leurs mains, leurs avant-bras habiles pour diriger une souris, tenir un volant ou manier une télécommande mais incapables de tracer autre chose que d'abominables lignes de fractures qu'ils ont renoncé depuis longtemps à envoyer (une ordonnance n'est jamais agréable à recevoir !). Art de la lenteur également, n'a t'on pas vu tel ou tel joueur d'échec recevoir de la poste le coup de son adversaire sous forme d'un message incompréhensible par le néophyte, Txg7+, et après d'intenses réflexions jouer le mouvement sur son grand échiquier de buis, concrétiser la prise en ôtant la pièce du damier puis répondre à son tour par écrit sans se presser (l'attentif distinguera néanmoins une certaine fébrilité). N'a t'on pas vu également telle ou telle lettre d'amour arriver bien après la date prévue ! N'a t'on jamais vu telle ou telle lettre ne jamais partir !

DRING DRING AAAALLLOOO NON NON ET NON CE N'EST PAS LA BOUCHERIE SANZOT. ZUT !

Parallèlement la famille Téléphone grandissait, se diversifiait et devenait incontournable. Elle n'avait pour mademoiselle Orthographe qu'un respect limité (celui des nouveaux riches pour les nobliaux). On peut même dire qu'elle ne lui attachait aucune importance. Elle l'ignorait carrément et lui battait froid sous prétexte qu'elle, elle avait su s'adapter à son temps, à faire sienne l'adage selon lequel le progrès ne manque pas d'avenir et son corollaire « l'avenir est sur la toile ». Le passé glorieux de l'écrit, ses traditions, ses règles, ses dictionnaires, son bon usage, ses romans épistolaires, ses difficultés lui semblaient obsolètes surannées démodées rouillées et même pathétiques.

La dynastie Téléphone dut pourtant faire contre mauvaise fortune bon coeur et laisser, via le minitel puis le web, les correspondants utiliser un clavier. Ainsi les deux destins convergèrent et se retrouvèrent grâce à l'internet qui apportait dans ses fontes le courrier électronique, les forums et les pages personnelles. L'écrit devint rapide « comme un coup de fil » et l'orthographe se transforma en huile de frein !!!

L'immédiateté incite à « écrire comme je parle vite ».

Il se dit aux êtres aimés des demi-mots, des mots chargés, des mots lourds de mille sens, des mots avec des hottes pleines de couleurs, des mots valises, des mots Titanic, des mots longs qui s'enlacent entre eux. Mais le courriél n'attend pas il se contente de demi-demi-mots non relus sinon par le « speller » du traitement de texte. Restent des ensembles de lettres justes ou fausses par hasards, des accords originaux, des structures de phrases bizarres au point que même l'auteur de ces lignes arrive à voir quelques erreurs chez les « écrivinternautes », c'est vous dire si elles sont grosses. Des fautes d'inattentions assaisonnées de quelques erreurs de frappes et de belles bêtises. Des fautes à 4 points minimums. Quelquefois même plus ! De celles qui « quand t'en as cinq t'as zéro et quand t'en as quinze t'as -40 ». Que les spécialistes des dictées groenlandaises lèvent la main ! « C'est l'heure de la glace à dix boules » disait-on avant d'attaquer le tour des frautes, seule compétition de bicyclette -00- au monde à avoir autant de lanternes rouges (quel réconfortant chapitre « la dictée » du « champ de personne »(5) de l'ami Picouly !).

Contrairement aux publications papiers, aux journaux et autres magazines dans lesquels officient des correcteurs, relecteurs et professionnels de l'écrit publié, sur le réseau il n'y a pas de vérificateur ni de poinçonneur des lilas. La facilité d'utilisation de l'internet permet à chacun de jouer les éditeurs, les éditorialistes, les auteurs.

La seule règle est : vite ! vite ! vite !

Un courriél s'avale tout rond, une lettre se mâche, se garde, se regarde et se relis (minimum deux fois pour les lettres d'amour et trois fois pour les factures du fournisseur d'accès à l'internet).

  • 1 Liquid Crystal Displays
  • 2 Mot québécois pour courrier électronique
  • 3 Jacques Prévert
  • 4 KAOS, film de Paolo & Vittorio TAVIANI , 1984
  • 5 Flammarion


Réaction




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