Octobre rouge
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Octobre rouge

Octobre est le mois des grandes mutations. La nature change son décor et s'endort lentement. La chute des feuilles offre de superbes décors, les animaux se hâtent de terminer leurs provisions. Tout ce petit monde sera prêt pour affronter les rudesses de l'hiver.

Depuis très longtemps, ce scénario se répète sans heurts, parfois avec malheurs pour les plus faibles mais toujours harmonieusement séquencé. La Nature est parfaite : elle donne la vie et régit l'évolution. L'Homme lui doit sa présence, à elle seule, mais son ingratitude n'a d'égal que son immense orgueil. Il veut tout contrôler, tout réglementer et dicter sa loi.

En automne, sa loi, c'est la chasse. Les statistiques rapportent un gibier trop nombreux qui entrave le développement de la végétation et s'attaque aux cultures. Une régulation des effectifs s'impose.
Arrivent alors dans les bois des gens appelés chasseurs dont le plaisir est de tuer. Splendide hobby !

Courageusement posté à l'orée du bois, le chasseur attend l'ennemi, camouflé comme un guerrier et prêt à subir un assaut prolongé. Cependant, il aime le confort et une judicieuse petite chaise pliante fait partie intégrante de son arsenal, au même titre que le Thermos de café, les tartines fourrées au jambon d'Ardennes, le chapeau-antipluie et la veste imperméable. Mais attention au voisin ! Car le chasseur est pointilleux et ne supporterait pas un matériel de piètre qualité. Vive Lacoste et Chevignon ! Certains poussent même la coquetterie jusqu'au ridicule petit chapeau tyrolien à plume et au pantalon trois-quarts assorti de chaussettes en laine.

Il se déplace de préférence dans un somptueux 4X4 dernier modèle, suffisamment équipé pour soutenir la comparaison des collègues, suffisamment sale pour suggérer de nombreuses sorties et pas trop encombrant pour un usage quotidien en ville. Le poste de pilotage surplombant routes et chemins lui confère une impression d'invulnérabilité qu'il n'hésite jamais à manifester. Aucun obstacle ne lui résiste, tant pis pour les dégâts.

Ses armes sont à l'avenant de son véhicule. Fusil à lunette et à double coups ne laissent planer aucun doute, le chasseur ne manquera pas sa cible. Parfois, il utilise des armes de (très) gros calibres pour éviter toute souffrance à l'animal. Et c'est vrai, celui-ci ne meurt pas mais explose. Si vous n'aimez pas la saveur du plomb sans accompagnement, goûtez-le au moins saupoudré de sanglier...

Quoi de plus ridicule qu'un chasseur rentrant bredouille ...Aussi, afin d'asseoir sa réputation, le chasseur va prendre des dispositions (des participations à l'entretien de domaines forestiers) et assurer au gibier un confort absolu durant l'été. Il serait quand même dommage que ces stupides animaux s'en aillent goûter l'herbe plus verte du bois d'à côté. Un nourrissage régulier leur ôtera toute envie de voyager. En fait, le chasseur a 300000 mille raisons (francs) par an de massacrer ses proies et, hypocritement, les communes Ardennaises profitent de ces crimes en allouant leurs meilleurs territoires aux meilleurs prix, tout en préservant ses autres sources providentielles d'argent, les plantations dont se nourrit le gibier.

Sachez aussi que le chasseur élimine ses adversaires sous de fallacieux prétextes . Le loup en est le plus tragique exemple. S'attaquant sporadiquement aux moutons, mais surtout seul prédateur des grands cervidés de nos forêts, il menaçait le monopole de l'homme tout-puissant et fut donc simplement exterminé. Attention propriété privée ! A la suite de cette disparition, la chasse trouva en l'augmentation de la population de cerfs l'argument idéal : la régulation que la Nature ne parvient plus à assurer. Il détruit aussi souvent d'autres formes de régulations. Autrefois porteur du virus de la rage, aujourd'hui vacciné, le renard se nourrit de lapins, de rongeurs et s'attaque aux bêtes malades ou faibles. Son rôle est donc essentiel. Mais il est abattu gratuitement et sa queue est épinglée à une casquette dite de traqueur, bien que l'intelligence ne se transmette pas par la queue, aussi magnifique soit-elle. Et quel est le sort réservé aux si précieux rapaces ? Poser la question, c'est malheureusement y répondre.

En fait, le chasseur ne choisit pas ses proies, il canarde tous azimuts : gibier, renards, lapins, rapaces, chiens de chasse, ... vaches, ... chasseurs ou traqueurs. La puissance du fusil procure une jouissance extrême.

Certaines personnes appelées femmes s'appellent aussi chasseurs, bien que ce mot typiquement masculin n'ait pas de traduction féminine. Le samedi avec un fusil, elles manifestent contre la pédophilie le dimanche. Savent-elles que le faon et le marcassin sont au gibier ce que le bébé est à l'homme ? Et quel dilemme dans la tête d'un enfant qui regarde un Walt Disney (Bambi par exemple) d'un oeil et ses parents de l'autre, armes en bandoulière.

Les forêts deviennent un immense terrain de jeux, une foire commerciale. Les bourgeois s'y retrouvent pour promouvoir leurs affaires, nouer de nouveaux contacts ou s'attirer la sympathie de clients potentiels. Quel magnifique cadeau ! Un week-end de chasse à la campagne. Snobisme quand tu nous tiens ! A notre époque, le bourgeois chasse parce que sa banque est fermée le dimanche. Et d'ailleurs, on distingue le chasseur du traqueur à l'épaisseur de son portefeuille.

Le respect de l'environnement est paraît-il leur credo. Admirez donc la propreté des forêts après leur passage et saluez leur discrétion; leur arrivée sème la panique, leur départ laisse terreur et désolation. Ils sont venus, tout le monde les a vus, ils ont vaincu, la Nature a perdu !

En fin de journée, tels des chevaliers rentrant de croisades, les chasseurs se rassemblent et exhibent leur virilité le temps d'une photo-souvenir en posant pompeusement sur les corps sans vie de leurs victimes. Certains d'entre eux décorent même leur cheminée avec des crânes de cervidés. Trophées de victoire, titres de gloire ? Imaginez-vous la tête de vos aïeux dans votre salon ?

Finalement, ivres de bonheur, mais surtout d'alcool, le chasseur rentrera chez lui avec le vil sentiment du devoir accompli et racontera fièrement à ses petits-enfants que lui aussi a participé à la régulation des espèces que la Nature défaillante ne parvenait plus à assumer seule.

Jean-Christophe DEMOORS © le Soleil se lève à l'Est - 16/12/1998 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum