'Vu à la télé'
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'Vu à la télé'

Dans une précédente réflexion nous disions notre étonnement devant quelques réactions au film le 8ème jour, réactions qui proposaient l'exceptionnel comme légitimation à une vie.
La chaleur de l'événement étant maintenant moins intense, je voudrais dans cette réflexion reprendre certaines réactions de personnes proches de nous. Ces réflexions ou changement de comportement, à l'époque, nous avaient étonné. Puis le temps est passé, nous avons continué à nous fréquenter et bientôt le statu-quo est revenu. Chacun a retrouvé sa place, son rôle, son image. L'héroïne aussi.

Elle est trisomique et s'appelle Sabrina. Nos amis la connaissent bien, les collègues de boulot également. Elle nous accompagne toujours chez les commerçants, dans les restaurants et dans quasiment toutes les activités (sauf le footing) que nous pratiquons. Pourtant, de la part de cet entourage averti un certain nombre de réactions nous ont étonné :
  • comme si l'existence réelle de Sabrina se devait d'être confirmée par l'image et la fiction en particulier;
  • comme si l'habitude et la proximité atténuait tellement la profondeur des contacts qu'on en oublie de regarder l'autre;
  • comme s'il était besoin d'une caution médiatique pour oser aborder le sujet;
  • comme si l'intégration ne pouvait être normale qu'une fois avalisé par le vecteur cathodique;
  • comme si le handicap devait supprimer toutes les caractéristiques, qualités et défauts qui font un être humain.

Quelques réactions

Amusantes de la part d'enfants d'une douzaine d'année qui connaissent très bien Sabrina, à qui les parents avaient expliqué le handicap et la trisomie. Soudain ils ont eu plein de questions à poser sur sa vie, ses amours etc. Auparavant ils jouaient avec elle, lisaient ses revues, ses journaux plein de chanteurs, soudain ils la regardaient avec les yeux ouverts. D'un statut de jeune fille et peut être en filigrane d'enfant elle devenait femme, ce qu'elle avait toujours été à ses propres yeux car Sabrina est "une femme nette", une vrai femme, quoi.

Réactions étonnantes de collègues de travail qui par miracle, comme ça, tout d'un coup se demandaient si la sexualité de Sabrina était ceci ou cela, en avait-elle une ? et sa contraception alors ! et ses "petits copains" ! etc.
Réactions surprenantes d'amis pour lesquels Sabrina était une compagne de rigolade et qui devint brutalement un centre d'intérêt avec des questions existentielles qu'ils ne lui posaient pas directement - faut pas exagérer - mais dont sa mère subissaient le feu.

Réactions stupéfiantes de commerçants qui normalement parlaient de la pluie et du mauvais temps et soudain demandaient des nouvelles de la petites et voulait savoir si elle faisait du théÂtre, "non elle fait du Judo, du Yoga et du Foot", "c'est dommage elle devrait faire du théâtre", "elle fait ce qu'elle a envie de faire", "oui mais le théâtre ... , j'ai vu un reportage à la télé ... ".

Non seulement Sabrina devint une méga-star dont Madonna devrait sans tarder se méfier (elle adore la danse et le chant), mais elle acquit en plus un statut.
N'exagérons rien, un statut provisoire.
Maintenant tout est rentré dans l'ordre. Il reste à espérer que les réponses ont été entendu. Ce dont il est permit de douter.
Alors créons ce jour le label : "Trisomie inside" pour prolonger la mode.



Nicolas Woerner © le Soleil se lève à l'Est - 10/10/1998 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum