Le prix Nobel d'économie, James Tobin, et sa taxe sont en passe de devenir la nouvelle star des médias. Même Ardisson en fait la promo sur France 2, c'est dire !
Cette taxe, consistant à prélever sur chaque transaction sur le marché des devises, a été imaginée afin d'introduire un grain de sable dans les rouages de la bourse afin de prévenir des variations hiératiques des cours des devises.
| L'association ATTAC a repris cette idée en calculant qu'avec un taux particulièrement bas de 0,05%, la taxe Tobin rapporterait près de 100 milliards de dollars par an. Cette manne pourrait être reversée aux organisations internationales pour des actions de lutte contre les inégalités... |
Voilà un étrange concept qui ravi les contempteurs du capitalisme de papa - régulons le marché, mais continuons à nous en mettre plein les coffres-forts - mais également les honteux de nos sociétés libérales qui constatent qu'il existe encore des pauvres. Droite et gauche enfin réuni pour un projet commun, hydre à deux têtes.
Bon d'accord, tout cela on connaît ! Mais quel rapport avec la bibliothèque de mon quartier ?
La Société des gens de lettres et le Syndicat des éditeurs sont à l'origine d'une lettre pétition (288 écrivains l'ont signés) demandant que chaque prêt de livre en bibliothèque soit taxé de 5 francs. Ceci afin de permettre, entre autre, d'assurer une retraite aux auteurs aux tirages modestes.
Le résultat prévisible de cette taxe serait la baisse du nombre d'emprunts effectués et le dégagement d'une manne financière estimée à 772 millions de francs (5 % du chiffre d'affaires de l'édition française).
Qui payera ?
La grande majorité des bibliothèques sont financée par les municipalités. Les locaux, les bibliothécaires et les achats sont pris en charge par les collectivités avec le souci de donner accès à l'écrit au plus grand nombre. Cette volonté politique impliquerait la prise en charge de cette taxe par la collectivité afin de ne pas interdire aux plus démunis l'accès aux bibliothèques.
Mais les disparités financières entre communes sont énormes et le budget par habitant peu varier du simple au quintuple entre deux localités voisines. Cela signifie qu'à budget constant, moins de livre seront achetés.
| Par exemple, la bibliothèque municipale de Talange (Moselle, 8000 habitants) avait 684 abonnés en 1999. 8810 prêts ont été comptabilisés. Si la taxe était appliquée et que la municipalité décidait de ne pas répercuter ce coût à une population plutôt défavorisée, cela lui coûterait 44050 francs supplémentaires.
Le budget d'acquisition était en 1999 de 45000 francs... |
Les éditeurs
Les
bibliothécaires ont le souci d'acquérir les éditions originales plutôt que d'attendre les éditions économiques (poches) afin de permettre aux éditeurs de découvrir de nouveaux talents. Il s'agit là d'un soutien direct aux éditeurs. Que pourront-ils faire si les municipalités ne doublent pas leurs subventions ?
La retraite des « petits auteurs » !
A voir la polémique concernant la gestion de la SACEM (Société des Auteurs Compositeurs Éditeurs de Musique) on peut raisonnablement s'interroger sur la destination finale de la manne qui résulterait de cette taxe. En effet, des dépenses somptuaires et l'absence de contrôle de la gestion de cet organisme laissent les «
petits compositeurs » sans aucune ressource...
Si Tobin avait raison, le marché du prêt de livre sera mieux régulé et le nombre d'emprunts baissera significativement. Les
auteurs seront moins lus.
Joli paradoxe de l'auteur créateur qui sans doute aimerait lire et l'auteur vendeur qui espère gagner plus. Au final, les budgets n'étant pas extensibles, ils seront moins lus et la baisse de leur vente sera compensée par une taxe inacceptable.