J'ai offert un dessin à ma maman. Y avait des fleurs de toutes les couleurs et un gros soleil très rond, très jaune ; on aurait dit qu'il brillait sur la feuille.
Ma maman a dit :
- Dessiner, à ton âge... Tu n'as rien de mieux à faire ? Ta chambre est rangée ?
Ma chambre n'était pas rangée. J'ai repris le dessin et je l'ai donné à la maîtresse. La maîtresse a dit "C'est joli, toutes ces couleurs !" et elle a affiché le dessin dans la classe.
J'ai cueilli des fleurs pour la maîtresse. Sur le chemin de l'école j'ai trouvé des fleurs toutes jaunes, toutes rondes, avec des pétales comme des rayons.
On aurait dit des minisoleils. La maîtresse a dit merci et elle a mis les minisoleils dans un verre d'eau, sur son bureau.
J'ai dit à ma maman : "J'ai cueilli des fleurs à la maîtresse". J'aurais pas dû dire ça. Ça a fait de la peine à ma maman. Elle a dit :
- Ah bon ? Tu cueilles des fleurs pour la maîtresse. Pas pour ta mère.
J'ai plus cueilli de fleurs pour la maîtresse.
J'ai cueilli des fleurs pour ma maman. Je lui ai fait tout un bouquet de minisoleils.
Ma maman a dit :
- T'appelles ça des fleurs ?
Et elle a jeté tous les minisoleils à la poubelle.
Les minisoleils, en vrai, ça s'appelle des pissenlits. Et c'est pas des fleurs ; c'est des fausses fleurs. Je savais pas.
J'ai cueilli des pâquerettes pour ma maman. En rentrant de l'école, sur le chemin, j'en ai cueilli tout plein. Ça faisait un gros bouquet. Pour décorer, je l'ai entouré de grandes feuilles, pour faire comme les bouquets qu'on achète chez le fleuriste, quand on est invité chez des gens pour manger. Chez le fleuriste ma maman dit toujours : "C'est joli tous ces feuillages, ça fait une belle présentation".
Je suis rentré en retard à la maison. J'ai donné le bouquet à ma maman.
Elle a dit :
- C'est à cette heure-là que tu rentres ?
J'ai expliqué que les pâquerettes, c'était long à cueillir. Elle a dit :
- Je ne veux pas que tu traînes en chemin. Surtout pour des pâquerettes. Les pâquerettes, ce sont des fleurs sauvages ; y en a partout.
Les pâquerettes, ça compte pas comme fleurs. Je savais pas. Les fleurs, c'est difficile pour savoir vraiment.
Mon bouquet a séché sur le bord de l'évier ; le lendemain il était mort.
Pour l'anniversaire de ma maman, je lui ai offert des vraies fleurs. J'ai pris les cinquante francs que ma mamie m'a donnés pour Noël et j'ai dit au fleuriste :
- je voudrais des fleurs pour ma maman. J'ai cinquante francs.
Le fleuriste a dit :
- Le mieux, ce sera des roses...
J'ai acheté des roses, cinq. C'était dix francs la rose. C'est cher, les vraies fleurs.
J'ai donné les roses à ma maman, dans un paquet tout décoré, avec des feuilles autour. Ça faisait une belle présentation.
Ma maman a dit :
- Des roses ! Y en a plein le jardin ! C'est jeter l'argent par les fenêtres !
Moi, je croyais que les fleurs du jardin, ça comptait pas comme fleurs. Je savais pas.
Ma maman m'a dit d'offrir les roses à la voisine, parce que la voisine, la pauvre, elle a pas de jardin.
Quand je serai grande, je voudrais une maison comme la voisine, une maison sans jardin. Comme ça, ça fera moins de problèmes avec les fleurs. Les fleurs faudra toujours les acheter, parce que chez moi y en aura pas.
La voisine était contente. Pour me récompenser, elle m'a donné une sucette, toute ronde, toute jaune, comme un minisoleil.
Ma maman, elle est contre les bonbons, parce que les bonbons ça fait pousser des caries dans la bouche des enfants.
J'ai mangé la sucette en cachette, dans les toilettes. Doucement, tout doucement. J'avais peur que les caries poussent dans ma bouche, comme des petites bêtes. Dans la glace des toilettes, j'ai vérifié. Pas de caries.
Ma maman a trouvé que je mettais longtemps. Elle a tapé à la porte :
- Qu'est-ce que tu fais là-dedans ? Je ne veux pas que tu t'enfermes, tu entends ?
J'ai caché le reste de sucette dans ma poche et j'ai ouvert la porte.
La sucette, je l'ai mangée par petits bouts, chaque fois que j'allais faire pipi. C'était pas amusant parce que le tissu collait à la sucette. J'avais des espèces de fils dans la bouche.
Quand même je l'ai finie, et j'ai pas eu de caries.
Pour la fête des mamans, je savais pas quoi faire. J'avais fabriqué un cadeau à l'école avec la maîtresse, mais ma maman elfe aime pas les cadeaux qu'on fabrique à l'école.
Elle dit qu'après il faut ranger, qu'il y a déjà assez de bazar comme ça dans la maison.
J'ai réfléchi. Tout le samedi j'ai réfléchi.
J'ai trouvé. Un poème. C'est un cadeau qui prend pas de place. J'ai fait un poème avec des verres à pieds.
Les verres à pieds, la maîtresse nous a bien expliqué : un verre c'est pas seulement pour boire, c'est aussi une ligne dans un poème. Les pieds, c'est des morceaux de mots.
Par exemplaire J'ai-me-ma-ma-man, c'est un verre à cinq pieds.
Moi je voulais des verres à six pieds. Six pieds, c'est mieux.
J'ai écrit :
Je t'écris ce poème
Pour te dire que je t'aime
Car tu es ma maman
Bonne fête maman
Après j'avais plus d'idée. A cause des pieds ; les pieds c'est compliqué.
J'ai mis plein de couleurs. J'ai entouré le poème dans un grand rond très jaune. Et j'ai fait des rayons tout autour du rond.
Ma maman m'avait dit : "Tu rangeras ta chambre samedi". J'ai pas eu le temps. A cause du poème. La poésie, c'est long à faire, surtout quand c'est bien présenté.
Le dimanche, j'ai offert le poème à ma maman. J'ai dit : "C'est moi qu'ai inventé le poème. Toute seule". D'abord elle a dit :
- Oui, ça rime.
Puis elle a dit :
- Tu t'es pas cassé la tête.
Et aussi :
- Ta chambre est rangée ?
J'ai rien dit.
Alors ma maman est rentrée dans ma chambre. Y avait des habits par terre, pas beaucoup mais un petit peu. Ma maman a dit :
- C'est bien la peine de m'écrire des poèmes ! Si tu m'aimais vraiment, tu aurais rangé ta chambre.
J'ai rangé ma chambre. Même les livres ; j'ai mis tous les Oui-Oui ensemble, séparés, parce que les Oui-Oui, c'est mes préférés.
J'ai appelé ma maman pour lui montrer :
- Regarde maman, c'est tout en ordre. Ça te plaît ?
Elle a dit :
- Non - Non... ça ne va pas tous ces Oui-Oui, c'est bébé. Faudra les donner à ta cousine.
Puis elle a soupiré :
- Je ne sais pas ce qu'on fera de toi...
Moi non plus. Je ne sais ce que je vais devenir. J'ai peur de finir des linquants.
Quand on n'est pas sage, on finit des linquants, souvent.
Comme les voisins d'en face, ma maman dit qu'un jour ils finiront des linquants.
Linquant, c'est pas dans le dictionnaire. J'ai regardé.
Quand je serai grande, je ferai un dictionnaire avec tous les mots qui sont pas dans le dictionnaire ; pour les enfants.
Mes enfants, je leur expliquerai tout bien : les vraies fleurs, les fausses fleurs, les fleurs qui comptent, les fleurs qui ne comptent pas, les verres à pieds, les linquants.
Le soir de la fête des mamans, j'ai demandé à ma maman :
- Maman, pour de vrai, tu m'aimes ?
Elle a dit :
- Ne pose pas de questions idiotes ! Tu t'es lavé les dents ?
La fête des mamans, c'était il y a longtemps maintenant.
Maintenant, je regarde les mamans. Les mamans des autres enfants. A la sortie de l'école, j'espionne.
Y a des mamans, quand elles voient venir leur enfant, elles sourient tout à coup. Un sourire comme pour dire : je le reconnais, c'est lui, c'est mon enfant. Un drôle de sourire. Du soleil dans leurs yeux.
Y a des mamans, elles embrassent leur enfant, ou bien elles lui passent la main dans les cheveux. Elles le touchent. Lui prennent la main sur le chemin. C'est pas toutes les mamans, mais c'est beaucoup de mamans qui font comme ça.
Y a des mamans, elles donnent des noms d'animaux à leur enfant. Mon petit chat, mon lapin, mon biquet, mon oiseau, ma grenouille, mon poussin.
Hier ma maman est venue me chercher à l'école, parce qu'il fallait aller chez le docteur juste après, pour le vaccin.
Quand elle m'a reconnue, à la sortie, elle m'a dit :
- Vite, vite ! On a rendez-vous, dépêche-toi !
A ce moment-là, juste à côté, y a une maman qui a parlé à son enfant. Elle lui a parlé doucement, mais j'ai entendu. La maman a dit "Je t'aime".
Ma mère aussi, elle a entendu. Elle a haussé les épaules. Elle a fait son air vexé ; son air fâché, celui qu'elle fait toujours quand elle entend des gros mots.
Pour ma mère, ces mots-là c'est des gros mots.
Quand je serai une maman je dirai des gros mots. J'en dirai tout plein ; j'en dirai tous les jours. Je t'aime mon petit chat, mon lapin, mon biquet, mon oiseau, ma grenouille, mon
poussin. Je t'aime mon enfant.
J'ai mal au coeur.
C'est à cause du vaccin, sûrement.