Depuis vingt ans maintenant, Jean-Marie Leroy crée ou recrée des pièces de théâtre de qualité avec un savoir-faire et une maîtrise de passionné. Avec sa compagnie, le Théâtre Sous la Pluie, il parcourt les salles - plus ou moins adaptées au théâtre - du pays. Il obtient assez vite son indépendance et sa liberté en minimisant les concessions. Pour lui, le théâtre est avant tout populaire, et de ce fait, il a choisi le mode burlesque. Depuis 1998, sa version époustouflante du « Malade imaginaire » de Molière fait parler d'elle. Le public conquis en redemande. La compagnie réapparaît à Metz pour de nouvelles représentations. Rencontre avec un metteur en scène.
Le Soleil se Lève à l'Est : Un goût particulier pour Molière et le théâtre classique ?
Jean-Marie Leroy : J'aime le théâtre de Molière, oui. J'aime beaucoup d'autres auteurs aussi, vous savez ! Et qui ne sont pas tous morts ! Ce qui me gêne, c'est qu'aujourd'hui quand vous montez un ... «
classique », vous devez souvent vous justifier de n'avoir pas monté un contemporain ! J'ai même lu des propos terribles sur les metteurs en scène qui faisaient ce choix. Et bien j'aime aussi Molière parce que je partage son aversion des extrémismes, et je ne me sens pas alors vieux de trois cents ans. J'aime son rapport à la mort qu'on trouve dans toutes ses pièces, sa vision de la condition de la femme, ses répliques - qui sont quasiment des commentaires irrésistibles !
J'aime surtout beaucoup travailler sur ses mécanismes, sur ses scènes «
improvisées », et celles que l'on sent énormément travaillées. J'aime travailler sur le langage du XVII
ème et essayer de le transposer à aujourd'hui. Il en est de même pour le comique. Même si vous ne voulez pas «
moderniser », le public d'aujourd'hui le fait de lui-même. Dans «
le Malade imaginaire » (
extrait vidéo en ligne), le public du XX
ème rit de l'absurdité des remèdes qu'on prescrit à Argan. («
Combien de grains de sel faut-il mettre dans un oeuf ? » Demande Argan. «
Six, huit, dix. Par les nombres pairs » répond son médecin).
Au XVII
ème, il riait de ce que Molière osait critiquer, car ces remèdes étaient inscrits dans les règles des médecins. Dans cette situation, le comique identique à ces deux siècles est celui que dégage le malade qui ne peut s'empêcher de parler de traitement alors que le climat est tout autre. Accompagner cette modernité, sans tomber dans l'adaptation excessive, me plaît. J'utilise aussi beaucoup les images et les mouvements scéniques pour cela.
Solest : Pourquoi cette grande chaise pour « Le Malade imaginaire » ?
Jean-Marie Leroy: Cette chaise, qui représente aussi la chambre de ce malade halluciné, est un objet à sa démesure. Les différents niveaux de jeu visualisent - souvent d'une façon très drôle - le tempérament et la relation des personnages. Imaginer qu'il ait aussi l'angoisse de tomber de sa chaise démontrait que dans un esprit troublé toute angoisse est réelle, parce qu'excessive. Et cet aspect irraisonné est comique.
Solest : Les intermèdes sont différents de ceux de Molière.
Jean-Marie Leroy: Le malade imaginaire est une comédie-ballet, mais les intermèdes de Molière étant très éloignés de l'intrigue, j'ai choisi de les en rapprocher ; d'où des scènes entièrement visuelles présentant les visions du malade.
Solest : Peut-on considérer « Le malade imaginaire » comme étant son testament?
Jean-Marie Leroy: Une dernière pièce est toujours un peu un testament. On est obligé d'y penser... Molière est très malade, c'est vrai, mais un malade sur une scène comique devient toujours imaginaire. C'est avant tout une grande comédie neuve, pleine de fraîcheur ; une aventure riche en événements, aux situations souvent extravagantes : Argan est un homme qui menace de ne plus être malade !
Solest : Argan est face à sa maladie imaginaire, et aussi face à Toinette, bien réelle !
Jean-Marie Leroy: Il est face à ses maladies imaginaires, face à sa «
maladie des médecins », face à sa fille Angélique qui veut épouser un homme pour elle et non un médecin pour lui, et face à Toinette qui cherche à résoudre ce problème, à sa manière ! Toinette, c'est la vie, la liberté, le remède miracle ! Argan, lui, tant qu'il est malade, il est vivant ! Cette confrontation est savoureuse. La relation Argan-Toinette est extrêmement burlesque, et dans les dialogues, et dans les mouvements.
Solest : Argan est-il fou ?
Jean-Marie Leroy: Je dirais que l'angoisse le fait tomber dans la «
folie douce ». C'est un personnage dont la complexité est comique et où l'on retrouve des réactions de dévot halluciné, de bourgeois qui se croit gentilhomme, d'homme qui se pique d'être savant.
Solest : On peut dire que Toinette est une impertinente !
Jean-Marie Leroy: C'est une impertinente parce qu'elle est contre le bon sens absurde d'un malade imaginaire. Elle a cette familiarité qu'avaient certaines servantes de l'époque bien ancrées dans les familles, mais avec l'exagération que lui donne Molière pour sa comédie. C'est un personnage qui tient à la fois de la commedia dell'arte et de la comédie.
Solest : Comment est venu ce parti pris d'un malade qui hallucine ?
Jean-Marie Leroy: Je n'ai rien inventé : vers la fin de la pièce, Toinette décide de se changer en médecin pour essayer de ramener Argan à la raison au cours d'une angoissante consultation. Et le malade hallucine : ce «
beau jeune médecin de quatre-vingt-dix ans » ressemble fort à Toinette ! Malgré la ressemblance, il y croit : parce qu'il veut croire à la venue d'un nouveau médecin. Partant de là, j'ai créé par des hallucinations les désirs et les craintes, les envies et les angoisses, les rêves et les cauchemars de ce malade imaginaire.
Solest : Une comédie de Molière au son d'un tango, c'est inhabituel !
Jean-Marie Leroy: J'aime que la musique soit très présente. Ici, elle rythme la progression des événements, et intègre les hallucinations à l'action. Le tango répétitif permet à certaines situations comiques d'atteindre le burlesque.
Solest : Le Théâtre Sous la Pluie est installé à Metz. Où vous produisez-vous ?
Jean-Marie Leroy: Avant de jouer, vous vous en doutez, il nous faut répéter. Cette année nous allons fêter les 20 ans de la compagnie et nous n'avons toujours pas de lieu où répéter, ni de lieu où nous produire sur Metz. Nous avons eu en partage avec une autre association un local de répétition durant 2 ans. On nous l'a enlevé... On avait, je crois, oublié une fois de balayer !
Nous avons essayé de créer un Festival de théâtre de rue pendant cinq ans, un Festival de théâtre international pendant quatre ans. Nous avions alors aménagé des locaux à la Porte des Allemands (un très beau lieu à Metz) ; on nous l'a repris pour y mettre autre chose...
Dix ans après il n'y a toujours rien ! Alors, nous passons une partie de notre énergie à chercher des lieux de résidence... malheureusement, jamais à Metz. On a tout essayé, on nous a tout refusé. Nous sommes aidés financièrement par la ville, c'est vrai. Mais nous avons répété «
Le Malade imaginaire » à Pont-à-Mousson, «
Rêves d'exil » à Toulouse, puis à Florange, «
État d'os » à Creil, «
Cigale ! Cigale ! » à Mantes-la-Jolie, «
Les Fantômes du théâtre » à Versailles, etc...
Quant à produire nos spectacles, nous tournons sans problème dans toute la France, en Europe, l'occasion s'est faite et se refera de tourner aux États-Unis et en Afrique. A Metz, nous jouons en été, en plein-air, aux pieds des escaliers de l'Arsenal (une très belle salle de spectacle à Metz). Nous avons aussi envie de jouer durant les autres périodes de l'année, à Metz, dans une salle : la compagnie est installée à Metz, beaucoup de comédiens sont messins ou lorrains...
Mais les lieux que nous voulons aménager nous sont refusés, les centres culturels sont perdus dans les quartiers, absolument pas adaptés pour les spectacles, le nouveau théâtre du Saulcy ne nous est pas accessible, le théâtre municipal ou l'Arsenal nous sont (j'emploie le mot) interdits. Alors nous louons un lieu à la ville de Metz, la salle Ochs, bien que cette salle soit trop petite, inéquipable, et d'où il nous faut sortir impérativement à 23h. Ou nous ne jouons pas à Metz, ou nous jouons dans cette salle.
Alors nous jouons dans des conditions vraiment très mauvaises, surtout pour un spectacle qui a besoin d'espace. On se plaint ? Non! nous essayons de répéter, de jouer, de créer à Metz.
Contact
THÉATRE SOUS LA PLUIE,
87 avenue du XXe Corps américain,
F-57000 METZ
Tél. & fax : 03 8750 5119