La première qualité du mongolien est d'être trisomique
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La première qualité du mongolien est d'être trisomique

Réactions à certains commentaires entendus lors de la sortie du "Huitième jour" film de Jaco Van Dormael

On s'est dit : attendons un peu, laissons passer le temps, prenons du recul. C'est fait, voilà le résultat. La goutte qui déclencha notre ire fut la suivante : "il (le trisomique du reportage, presque "normal" grâce à ses activités) sera dorénavant aimé pour ses exploits" (sic, TF1 20h le 21.05.96).
Première chose : connard de commentateur !
Deuxième chose : il n'est pas le seul.
Troisième chose : il y avait la vache folle et le label vite inventé VF, il y aura dorénavant le trisomique normal ou TN, label déposé par la télé nationale et ses commentateurs cyclopes. Le TN joue du piano, prend le bus tout seul, et regarde la caméra sérieusement, il répond gentiment aux questions du commentateur-télé-normal. Il est bien coiffé.

Le trisomique anormal, lui, aime la musique et danse à la moindre occasion, tombe amoureux des stars de télé et écoute Dorothée, Roch Voisine, Chantal Goya etc, et Renaud et Brassens. Tous les chauffeurs de bus sont ses copains. Il est également bien coiffé. Il est rond de bonne vie, il a mal au dos et des ongles incarnés, il mange le matin, à midi, à quatre heure et demi et le soir. Il aime la saucisson, les pâtes et les frites, un petit yaourt à la fin du repas. Ses amours ? peuchère, ses amours sont plus animés que ceux du commentateur-télé-salarié-normal, il en change souvent.

Le trisomique sera aimé pour ses exploits.
Aimé pour lui même ? non, impossible ? il doit justifier sa vie, voyons ?
Apprends, commentateur-télé-salarié-zélé-normal, que le mongolien est comme toi, il dit aussi des conneries, il a des états d'âme concernant le sexe, les enfants, la mort, il est parfois emmerdant surtout quand il écoute certains des artistes susmentionnés, il lâche des perlouzes monumentales et dit tout haut ce que d'autres pensent en rougissant. Sa sensibilité est immense, il vit comme tu aimerais si bien le faire une fois débarrassé de toutes tes inhibitions.
A se demander si l'objectif d'un tel reportage n'est pas de rejeter le trisomique. Seul celui qui n'est, apparemment (on aimerait pourtant le voir rire) presque plus mongolien devient non seulement montrable mais, en plus, un exemple.
C'est le comportement marginal du "trisomique parmi les trisomiques" qui l'intègre artificiellement et pour le temps bref d'un reportage à un monde hypocrite et médiatique. Le mongolien est exhibable et aimé comme reflet approximatif du non mongolien.

Qu'il est rassurant de voir les efforts de celui qui, défavorisé, essaie de ressembler au modèle aimé. L'homme grand (il ne sourit pas), met sa main sur la tête de l'autre, petit, et dit "c'est bien", la caméra peut filmer.
Il est regardé avec d'autant plus d'intéret qu'à travers ses exploits, plusieurs sentiments qui vont de la déculpabilisation, à la bonne conscience touchent les personnes non concernées. Le danger est paradoxalement pour les autres, les parents d'enfants trisomiques. En effet, c'est le phénomène exactement inverse qui se produit avec culpabilisation et sentiment d'échec.
Or, rappelons-le, la première qualité du trisomique est d'être mongolien (et inversement).
Rassurez-vous il a des défauts aussi, si, si, si, c'est vrai.

Bon d'accord TN apprend à lire, il passe le bac et parle anglais, il joue du piano, tant mieux, tant mieux, tant mieux, tant mieux ... s'il est heureux. Il est, bien évidemment, inconcevable d'imaginer un seul instant que ces performances remarquables soient faites pour le "bonheur" de ses parents. Non.
Le danger de l'exemple au delà de l'illustration voyeuriste est de donner une idée, une image décalée à de jeunes parents légitimement malheureux et désemparés. Dramatique pour le couple, la naissance de l'enfant trisomique peut se révéler une grande source de bonheur pour qui l'accepte comme tel et vit ; vit tout simplement.
Joie de vivre, sensibilité, honnêteté autant de facettes merveilleuses et rares à goûter simplement.

Notes

L'auteur de ce texte et sa compagne sont concernés par cette question...