La fable de l'éléphant et de l'araignée : le combat
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La fable de l'éléphant et de l'araignée : le combat

Il était une fois un éléphant et une araignée (araignée appartenant à la bien connue race, en voie d'apparition, la race internet). Les deux bêtes avaient décidé de s'affronter dans une grande compétition mondiale pour déterminer qui de l'un ou de l'autre était le plus performant, qui du mammifère ou de l'insecte avait de plus grandes capacités à se souvenir du plus de choses possibles, anodines ou pas.

L'éléphant sûr de lui, gros, gras, grand attaqua bille en tête et se lança dans une aspiration tout azimut, il reniflait à l'aide de son long appendice à tête chercheuse tout ce qui passait à sa porté, son corps gonflait (on comprend enfin les raisons physiologiques de sa grande taille), gonflait, gonflait ... . Véritable pompe aspirante il emmagasinait, il stockait, il empilait, il rangeait tant et tant que, toutes proportions gardées, même un ballon de baudruche flétrit ne peut multiplier autant sa taille sans éclater. Le temps passait et l'éléphant gardait tout en lui, il accumulait un nombre d'éléments proprement incroyable. Ajoutons à cela qu'il utilisait avec la même efficacité ses pavillons auricoles par lesquelles des flots d'infos entraient sans arrêt. Favori des pronostics il aspirait de plus belle.

Ainsi la taille de l'éléphant témoigne de sa mémoire dinausorienne (!) et l'on perçoit bien que l'araignée minuscule ne peut l'affronter avec les mêmes armes. La bestiole, bug in english, inventa alors la technique dite «des mémoires décentralisées, redondantes et exhaustives». L'internet naquit de cette volonté, l'internet naquit de l'impuissance d'un bug ! Plutôt que d'empiler en piles multiples les éléments à mémoriser, plutôt que de créer des files d'attentes fifo (first in, first out) ou lifo (last in, first out) plus hautes que les twins de New York, plutôt que de remplir les gouffres elle décida de tisser une cotte de maille de manière à envelopper l'ensemble des sources d'informations dans un filet dont les «jours» sont les pièges destinés à faire croire à un échappement possible.

L'éléphant ne prenait bien évidemment pas le bug au sérieux et continuait à ratisser consciencieusement tout ce que son déplacement pataud lui permettait d'attraper.
Elle, pendant ce temps tissait.

Puis un jour de juillet la tendance s'inversa, le maillage était presque abouti, plus aucune infos ne lui échappaient et Spider bug décida de sous louer les services de jeunes blaireaux ambitieux qu'il plaça à chaque nœud de sa toile, chacun ayant pour rôle de garder en mémoire ce qui passait à sa porté.

L'éléphant géant compris qu'il était battu et dans un sursaut de fierté aspira un grand coup, gavé il éclata et répandit à tout vent sa cirrhose. La bouillie fut extraordinaire, toutes les choses assimilées furent soudain rendu à la liberté et des infos confidentielles allèrent chatouiller les oreilles alentours. Sans rien dire, ayant le triomphe modeste, l'internet gardait en chacun de ses points d'ancrage des informations, il stockait, triait, organisait et remplissait de grandes bases de donnés.

Plus d'une fois les Béotiens pensèrent que la masse d'informations allaient transformer le réseau fluide en bibendum. Pourtant rien de tout cela n'arriva. Personne ne savait exactement ce qui était conservé, où cela l'était et à qui cela servirait-il ! Le jour où l'hypermnésie du réseau apparu il était trop tard, chaque page internet était copiée, chaque déplacement pisté, chaque message enregistré.
Ainsi l'araignée triompha. Rien ne sert d'être seul et puissant, il faut tisser des liens !!!

Nicolas Woerner © le Soleil se lève à l'Est - 19/03/2000 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum