A propos de la nouvelle
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A propos de la nouvelle

Prix litteraire « Gaston Welter » 1999. Introduction du président d'honneur Gérard Lecas.

Nouvelle se dit en anglais short story. Manque d'imagination de la part des anglo-saxons, au profit d'un supposé pragmatisme qui s'avère pourtant plutôt imprécis : ce n'est pas forcément l'histoire qui est courte dans la nouvelle, c'est plutôt la façon de la raconter. Comme dans le cinéma, il y a dans la nouvelle un espace hors-champ, disons espace hors-texte, qui est laissé à ton imagination, cher lecteur.

A partir de maintenant, tu es convoqué comme témoin, comme complice, nous te dirons : « c'était une maison dans la campagne ». Point, c'est tout. Ce n'est pas une description, certes, mais c'est une provocation Tu es mis au défi de rentrer dans notre jeu, d'insérer toi-même en lieu et place de ce non-dit l'image de tes propres maisons de campagne, et tout ce qui va avec l'image bien sûr, les couleurs, les odeurs, les sensations. Car il n'y aura pas dans notre texte de longues dissertations sur la lumière du couchant qui va se fondre dans le papier peint de la chambre de grand-mère ni sur le goût des madeleines au petit-déjeuner.

Non, cher lecteur, c'était simplement « une maison dans la campagne », comme celle que tu as dû forcément connaître pendant ton enfance ou au moins une fois au hasard de la vie. Nous ne te dirons pas la couleur des tuiles, ni la texture du crépi, nous n'évoquerons pas pour toi les senteurs de la cuisine, ni les relents de foin humide au fond de la grange. Nous tairons les silences du crépuscule qui resserrent les humains autour de la grande cheminée et les émois du printemps quand les roses et les jeunes filles se mettent à fleurir.

Nous sommes dans la nouvelle, cher lecteur, l'aurais-tu oublié, pas dans le pavé relié grand format, ni dans la saga en douze tomes, on est du côté de Scott Fitzgerald et de Pirandello, pas du côté de Victor Hugo. Et quand je dis Victor Hugo, c'est pour rester gentil avec tous les autres, les verbeux à rallonges, les inflationnels de l'adjectif qualificatif, les descriptifs délirants et ceux qui ont l'art de faire d'un simple bulletin météo un roman à lui tout seul. Et si, cher lecteur, tu n'as jamais connu de maison dans la campagne, et bien au fond peu importe, ton imagination n'en aura que plus de liberté pour construire des châteaux en Espagne dans les steppes immenses de l'espace hors-texte de notre nouvelle. Car de même qu'il suffit d'une étincelle pour mettre le feu à une forêt, il suffira d'un mot juste pour enflammer ta fantaisie.

Tu ne seras pas simplement lecteur de notre texte court, tu en deviendras également l'acteur, celui qui saura prolonger ces quelques lignes aux dimensions d'un récit épique, explorer cette part immergée de l'iceberg qu'Hemingway désirait trouver sous chaque page d'écriture. Voilà tout ce que je te souhaite, cher lecteur, et maintenant je vais te quitter, car je ne voudrais pas faire trop long sous prétexte de célébrer ce qui doit rester merveilleusement bref.

Le choix du jury




Gérard LECAS © le Soleil se lève à l'Est - 12/06/1999 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum