Quel plaisir de partager un repas et
dialoguer avec René Taesch après avoir vu l'exposition de ses photos et lu le livre qu'il a réalisé avec
Denis robert ! De ces images noires de solitudes et de morts naît une boule au fond de la gorge. Cette culpabilité de vivre au chaud et de sourire à son enfant ne doit pourtant pas masquer la responsabilité de notre monde qui oublie ses laissés-pour-compte pour les faire mourir dans l'anonymat.
Extrait du livre « Portrait de groupe avant démolition » Edition Stock, ISBN : 2.234.04828.1
«
C'était pendant l'hiver 1996, où les températures sont tombées si bas. René passait ses journées au Luxembourg, le café qui fait face à la boulangerie dont la patronne n'aime ni les Arabes, ni les SDF. Je l'avais déjà croisé en ville, grand échassier sur un vélo rouillé avec un immense carton noir sur son porte-bagages. Il m'a abordé en me demandant si je travaillais encore à Libé. Je lui ai dit que non. Il m'a fait savoir que c'était bien dommage. Il m'a dit qu'il y avait travaillé dans le passé, mais il s'était engueulé avec un artisan qu'il avait photographié et qui l'avait traité de hippie. Il a sorti des bouts de papier de sa vieille veste pour montrer qu'il ne racontait pas de salades. C'était d'anciennes photos jaunies avec sa signature en tout petit, et des notes de piges. De toute façon je le croyais. Ensuite, il m'a proposé de jeter un coup d'oeil sur ses photos : une partie de celles qui vont venir après. Les photos (une vingtaine) étaient enveloppées dans des poches de plastique. J'ai regardé. Je n'en pensais rien. Il faut se mettre à ma place : vous êtes dans un café, un type maigre, aux cheveux longs et blancs, au regard bleu, vous aborde pour vous montrer des images de types couchés par terre, des gueules ravagées, des corps perdus sans toit et sans papiers. J'ai dit que je les trouvais bien, ses photos. On a siroté en silence nos expressos et clos cette première entrevue en parlant du temps. Je ne savais d'ailleurs pas à quel point ce sujet était d'actualité pour lui. René a remballé son carton et est retourné chez lui où il n'y avait pas de chauffage.
Dehors, il faisait moins dix. (...) »
Denis Robert