Le piratage cousu web des journalistes français
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(ou petite leçon d'ejournalisme)

Avec l'avènement des nouvelles technologies de l'information, une nouvelle espèce de journaliste est née. Le ejournaliste n'a plus besoin de se déplacer pour rencontrer les faiseurs d'information. Vous savez, ces inconnus dont l'enfant à disparu ou le propriétaire d'un chien écrasé. Il n'est même plus nécessaire de lui téléphoner.
Non. Aujourd'hui, il suffit de naviguer sur la toile, d'y dénicher une perle et de la livrer dans un nouvel écrin qu'on nommera « grand quotidien national ».
Il faut néanmoins éviter certains écueils qui ne manqueraient pas de se présenter à la prou de votre ordinateur. Tenez bon la barre de votre navigateur et voguez allègrement vers l'information avec un grand I et recevez en échange le juste prix de vos piges. Inutile de passer des années à chercher l'information ! Non.
Quelques minutes de surf feront de vous le journaliste du XXIème siècle.

Petit précis de ejournalisme

Commencez par butiner sur les journaux étrangers. Sachant que le Français est par nature jacobine particulièrement peu doué pour l'apprentissage des langues étrangères, il ne risque pas de s'aventurer dans ces contrés linguistiques lointaines. Cela vous sera bien utile pas la suite...

Sur ces journaux étranger, par exemple le Los Angeles Times - gros, sérieux et à Hollywood svp - , chercher un article sur un sujet original. Le Français monolingue ne pourra jamais établir un lien sémantique entre votre production et cet article rédigé dans la langue de Bill. Choisir ce papier si possible en lien avec le web pour faire plus branché et parce qu'on peut dire n'importe quoi sur ce sujet maîtrisé par peu de personnes. Si vous choisissiez les voitures par exemple, vous risqueriez d'avoir quelques difficultés à répondre aux Jackis de tout poil. Pour ceux qui ne le saurez pas, le Jacki est une espèce essentiellement mâle, bandant à l'apparition de la dernière jante titane et ne baisant que sur un couvre lit noir et blanc façon zèbre face à un mur recouvert d'une énorme photo représentant une plage blanche et quelques cocotiers.

Mais revenons à notre sujet

Si le journal ne propose ses articles gratuitement que sur une courte période, ne vous gènez pas : en trainant un peu, l'internaute moyen mais anglophone malgré tout ne pourra plus retrouver l'article original et votre honneur sera sauf. Le Los Angeles Times reste un bon choix. Les articles ne sont accessibles que durant les 14 jours qui suivent la publication.
Une fois l'histoire trouvée (par exemple : le piratage de patron de broderies par des mémés du fin fond de l'Arkansas) lisez le attentivement. Munissez-vous de tout vos dictionnaires parce que ces Américains réinventent leur langue chaque lundi et quelques expressions risquent de rester mystérieuses pour vous. Par exemple « bootlegging » qui vient du temps de la prohibition de la vente de bouteille d'alcool est qui s'étend maintenant à toute diffusion illicite de produit (suivez le regard des Majors vers MP3).

Il ne vous reste plus qu'à reprendre quelques citations...

A l'instar des adolescents qui s'échangent des fichiers musicaux sur Napster, plusieurs centaines de grand-mères américaines ont découvert qu'elles pouvaient reproduire gratuitement des patrons de broderie grâce au Web.Taking a cue from music-bootlegging teenagers, sewing enthusiasts have discovered that they too can steal copyrighted material over the Internet, thanks to anonymous file-sharing techniques.
«Ce sont des femmes au foyer mais ce sont aussi des pirates», s'insurge Jim Hedgepath, le fondateur de la maison d'édition de patrons Pegasus Originals, au Los Angeles Times. «Je m'en fiche qu'elles aient des enfants, des petits-enfants. Elles nous piratent et nous menacent de faillite!»"They're housewives and they're hackers," Hedgepath said. "I don't care if they have kids. I don't care that they are grandmothers. They're bootlegging us out of business."
«Ringard». «Ce que les boutiques proposent ici est généralement ringard», ajoute Carlene Davis, une grand-mère de 52 ans qui a du mal à trouver des patrons là où elle vit, dans un coin isolé de l'Idaho, et ajoute: «Qui veut broder une femme avec un ananas sur la tête et l'encadrer? Je ne veux pas voir ça sur mes murs.»..." said Carlene Davis, a 52-year-old grandmother who lives in southwest Idaho. "Just being neighborly."
After all, needlepoint designs are hard to come by, especially for women like Davis who live in rural areas. A trip to the nearest hobby shop can mean a three-hour drive.
"There aren't very many stores that carry needlepoint patterns anymore," Davis said. "What they have is usually tacky. Who wants to [cross-stitch] a woman with a pineapple on her head and then frame it? I don't want that hanging on my walls."
Vous noterez les capacités de synthèses du journaliste


Pour le reste, vous n'avez qu'a réécrire le papier en étant plus synthétique. N'oubliez pas de citer vos sources : on a sa déontologie et envoyez le tout à votre rédac-chef par email. Utilisez votre compte email gratuit d'un prestataire mondial du type hotmail ainsi celui-ci vous croira à Los Angeles alors que vous n'y avez peut-être jamais mis les pieds.

Vous voilà en quelques minutes correspondant à Los Angeles pour le grand quotidien national « Libération ».
Attention ! Ne publiez votre article qu'au moins trois semaines après sa diffusion originale. Vos sources resterons muettes (cf règle de gratuité des 14 jours).

Les preuves.
Voilà donc l'article original et (sauvegarde sur google est maintenant effacée).
Et la version française...

Et un traitement honnête par Jean-Pierre cloutier des Chroniques de Cybérie

A lire aussi la mésaventure de Pierre Lazuly (chroniques du menteur).

Ce qu'il ne faut pas faire

Ne tentez pas de retrouver une de ces mamies accro du crochet sur le net, ni de voir si en France de telles pratiques existent ? Non non non. Cela pourrait donner naissance à un véritable papier mais c'est si fatiguant et tant qu'il y aura des lecteurs pour un tel brouet pourquoi se gèner ?

PS : méfiez vous de la mémoire du web

Si le LA Times retire ses articles, ceux-ci subsistent quelques temps archivés chez google par exemple. La toile possède une mémoire et vous risquez de tomber sur un fouille-merde amateur, non encarté qui osera se demandera si c'est encore du journalisme !

Suites

Nous avons contacté la journaliste du Los Angeles Times, P.J. Huffstutter. Après un reflexe bien américain de consultation du service juridique du L.A. Times, Daniel Gaines a choisi de mettre l'article de P.J. Huffstutter afin que les lecteurs du « Soleil se lève à l'Est » puisse comparer l'original et la copie.

La rédaction de Libération a également été contacté, voici leur réponse :
« D'autres lecteurs nous ont effectivement signalé le problème. L'info donné par Libé est effectivement très proche du papier du LA Times. C'est un résumé d'un long article, dûment mentionné, complété par des données issues de l'agence Associated Press. L'histoire nous semblait suffisamment cocasse (au regard de l'affaire Napster) pour être portée à la connaissance de nos lecteurs. Mais pas au point d'en faire aussi long. Le petit écho s'est transformé en article, avec illustration, pour de bêtes raisons de mise en page. L'auteur convient lui-même qu'il aurait fallu lui donner un peu de valeur ajoutée, vue l'exploitation qui en a été faite.
Merci de votre vigilance »

Didier Rizzo © le Soleil se lève à l'Est - 02/09/2000 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum