La main
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La main

La dextérité, cette précision dans le geste « musical » est-elle le produit d'un potentiel inné ou tout simplement le résultat de longues heures de pratique? Doit-on considérer la morphologie de la main comme un critère prédéterminant? Qu'en pensent certains musiciens et qu'en disent les experts d'hier et d'aujourd'hui?

...ah la fameuse dextérité!

Qui n'a pas entendu au moins une fois dans sa vie : « Cet enfant a de belles mains aux longs doigts, il deviendra sûrement pianiste! » Et combien de futurs petits mozarts se sont vus refuser l'accès à la musique parce qu'on avait jugé que la nature ne les avait pas dotés de cette main prédestinée...

En 1974, Jozsef Gat, un professeur de piano de Budapest, publiait une étude sur les aspects techniques de l'apprentissage du piano. Encore aujourd'hui, cet ouvrage demeure une référence classique dans les conservatoires. En se basant sur l'analyse rigoureuse de plusieurs types de mains de pianistes, Gat est arrivé aux conclusions suivantes :
« Certaines structures de mains sont plus favorables que d'autres à la variété de mouvements qu'implique l'apprentissage du piano. Cependant, chez l'élève dont la main est moins bien équilibrée, il est virtuellement possible d'arriver à d'excellents résultats en compensant par des exercices visant à renforcer certains groupes musculaires.
La longueur et la force du pouce sont également des éléments importants dont il faut tenir compte. En effet, le pouce peut compenser en puissance une structure plus faible des autres doigts. Un pouce bien développé assure plus d'équilibre à la main.
(Monsieur de Chazal affirmait que les doigts doivent être éduqués alors que le pouce, lui, est né savant).
Ce serait une erreur de conclure que la structure de la main est seule responsable de la qualité de la performance au clavier. Il faut aussi tenir compte de la spontanéité du travail musculaire, du contrôle des réflexes nerveux et de l'habileté du musicien à s'adapter à ce que j'appelle la polyphonie des mouvements. »

Deux écoles de pensée

Plusieurs études pour tenter de comprendre la dextérité de la main ont été effectuées depuis 1920. Il est intéressant de noter que les opinions des auteurs sont partagées en deux écoles distinctes : certains sont d'avis qu'il existe chez l'élève, au départ, un potentiel tant physique que cérébral, critère selon eux indispensable à la performance musicale; tandis que les autres soutiennent que le contrôle digital, la vélocité, l'habileté musicale sont davantage le résultat logique d'un long et persévérant apprentissage.

Qu'en disent les musiciens?

On a posé la question au compositeur québécois Richard Grégoire. Il est l'auteur de thèmes musicaux inoubliables pour les séries Les Filles de Caleb, Shehaweh, l'Ombre de l'Épervier ainsi que pour le film Being at home with Claude.
D'emblée, il nous avoue être beaucoup plus convaincu que la dextérité s'obtient par de longues heures de pratique. Il demeure sceptique quant aux vertus innées de ce « potentiel de départ ». « La forme de la main varie tellement d'un musicien à un autre, explique-t-il, qu'on ne peut parler de structure idéale. »
Autre exemple : le fameux pianiste Glen Gould qui valorisait peu le travail mécanique des doigts. Il croyait davantage au sens et au caractère de la musique comme source d'inspiration.

Jeff Fischer, un maître du clavier connu pour sa rapidité d'exécution, nous donne son avis sur la question : « Je ne crois pas qu'il existe de recette. La technique est essentielle. J'ai une formation classique débutée à l'âge de quatre ans et je suis persuadé que cette base m'a permis de développer la maîtrise que je possède aujourd'hui. J'improvise beaucoup pour entretenir ce contrôle. Sans dextérité, vous savez, un artiste est limité dans sa créativité. Je ne crois pas que la structure de la main ait beaucoup d'importance. Ce n'est pas tout, il y a aussi la souplesse et la puissance.
Une main « normale » possède au clavier une extension de neuf notes environ. La nature m'a donné de « grosses pattes », ce qui me permet une portée de douze notes - on s'adapte, c'est tout. D'ailleurs, les musiciens qui m'ont le plus impressionné par leur maîtrise n'ont pas nécessairement de grandes mains aux longs doigts. Je pense, par exemple, à Keith Jarrett.
La dextérité n'est pas chose acquise, il faut pratiquer et pratiquer encore. L'autonomie de chaque doigt, la puissance et la souplesse, ce serait plutôt ça le secret.
Chopin, avant chaque concert, jouait au complet les deux cahiers des fugues de Bach...C'est tout dire.
»

Au-delà des obstacles

Dans l'histoire de la musique, il est rapporté plusieurs cas de musiciens dont la carrière s'est poursuivie après un accident dont ils sont sortis handicapés. Par exemple, Django Reinhardt, un guitariste-jazzman des années fin quarante début cinquante, qui a mis au point une technique musicale étonnante d'efficacité pour continuer sa carrière, après avoir subi l'amputation de trois doigts. Encore aujourd'hui, il demeure un nom de référence pour sa qualité d'interprétation à la guitare.
Maurice Ravel a composé pour un pianiste de carrière qui venait de perdre la main droite (Paul Wittgenstein) le fameux concerto « Pour main gauche seule ». Prokofiev, également. Ces pièces compliquées demandent énormément de concentration et de maîtrise au musicien qui les interprète. Mais le résultat est extraordinaire.

Inné ou acquis

Main forte ou délicate, doigts longs ou courts, il ne semble pas qu'il faille chercher de ce côté le secret de la dextérité car il y a tellement d'autres facteurs dont il faut tenir compte.
Quand même, si vous avez l'impression de posséder depuis toujours une dextérité toute naturelle, eh bien c'est tant mieux pour vous. Mais pour conserver cette facilité, il vous faudra l'entretenir par de longues heures de pratique.
D'un autre côté, l'élève pour qui les débuts sont moins encourageants, obtiendra, après un long cheminement fait de patience et d'exercices, une dextérité qui lui semblera avec le temps depuis toujours acquise.

Tirez-en vos conclusions.


Noëllise Turgeon © le Soleil se lève à l'Est - 10/10/1998 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum