Déjà commencent des projets mégalomaniaques qui affichent l'ambition de mémoriser l'internet dans sa totalité.
Au prétexte que le futur président des Etats Unis est probablement déjà sur le web, (à travers sa page personnelle d'étudiant ou sa participation à un forum sur le base ball, on peut imaginer également qu'il soit en photo sur le site de l'association culturelle de son université, qu'il se montre au bras de sa petite amie etc.) des entrepreneurs malins développent des bases de données sans limite avec comme objectif de conserver quelque part, dans un endroit accessible, exploitable toutes les informations susceptibles d'être utiles, monnayables, utilisables plus tard et même beaucoup plus tard.
Il y a dans ce désir de posséder la totalité du web, de tenir dans sa main le monde entier la caricature de ce que l'internet représente pour chacun : l'univers à porté de clic. L'internaute élémentaire est dévoré par plus gros que lui par l'internaute anthropophage qui veut inscrire la dimension virtuelle de chacun dans ses tablettes. Dimension virtuelle dont les liens avec le réel sont si forts qu'il n'est pas difficile d'aller de l'une à l'autre.
Si l'internet a beaucoup de caractéristiques originales par rapport aux autres techniques de communications, caractéristiques copieusement commentées et analysées, sa mémoire en est la facette oubliée (!), sa dimension sous-estimée. Le monde entier célèbre la rapidité du réseau et le sentiment d'ubiquité qu'elle développe, il fête l'étendue des connaissances disponibles (quasiment infinie), il chante la liberté offerte à ceux qui n'ont pas les moyens de s'exprimer ou de se cultiver et ainsi de suite. On montre les nouvelles solidarités tribales générées ainsi que les stars de pacotilles que le réseau contribue à créer, mais concernant la durée rien. Officiellement la contrainte «
temps » a disparu, la technique a réussi à éradiquer cette pesanteur insupportable qui fait tomber les cheveux tout en approfondissant le regard. Evidemment le temps envisagé comme valeur obsolète, ringarde, dépassée fait rire l'internaute moyen qui cherche moins à découvrir ou à apprendre quelque chose qu'à aller le plus vite possible d'un site à l'autre pour se gorger de clichés et créer l'illusion qu'il domine son monde. L'internaute se contente de s'empiffrer d'images volatiles comme si chaque site, chaque bannière, chaque icône n'était qu'un pop corn de plus à avaler tout rond.
Ainsi le temps est nié et le surfeur amnésié.
Nous avons vu comment l'araignée, plus maligne que la grosse bête a trouvé le moyen de rentabiliser cette amnésie profonde en inventant la mémoire totale, incontrôlable, décentralisée.
C'est le paradoxe de l'internet, hyperapidité et fossilisation vont de paire.
A l'heure ou la CNIL essaie de réglementer, à l'heure ou il est interdit de constituer des fichiers avec les caractéristiques personnelles des individus, se fabrique dans le monde d'immenses bases de données hypermnésiques à l'insu des internautes.
Les modalités d'enregistrement, les conditions de sécurités, les procédures d'accès, les règles d'utilisations en sont totalement inconnues. Gare aux imprudents qui aujourd'hui écrivent quelques bêtises je ne sais où et qui dans vingt ans les retrouveront pendu à leurs basques sans savoir d'où elles ressortent.