Réponse à Jean-Charles Vidal
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Réponse à Jean-Charles Vidal

On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui !

Desproges

Rien n'est plus provisoire que les certitudes

Turlupin

L'opinion ça se travaille

Un général de l'OTAN


Salut Jean-Charles

« Le webmaster lambda n'attend en général que d'être contacté », écris-tu ; Sans être webmaster, l'auteur des lignes joliment critiquées également. Merci pour ta réaction.
A la réception de ton courrier je me suis posé l'évidement bête question « mais qui est donc derrière tout ça ? ». La théorie selon laquelle tu serais un chien, théorie défendue par toi-même, en personne et en nom propre, ne m'a pas convaincu malgré certains éléments troublants et un style qui allait dans ce sens. Ainsi, tu avais raison la vérité est dans le texte à l'exclusion d'autres éléments.
JEAN CHARLES, RASSURES-TOI, TU N'ES PAS UN CHIEN, juste un médor au service de l'ultra libéralisme dissolvant l'individu dans une mélasse compact faite de mièvrerie et de prétention. Autant de soumis qui ne le savent pas ! Autant de soumis à qui l'on fait croire que la réflexion, le jugement, l'opinion sont des valeurs « génération spontanée » qui n'ont aucune histoire, aucune expérience. Ils inventent l'eau tiède dans l'arrogance et le mépris de ce qui a pu se faire avant et ailleurs. Ils sont les victimes consentantes du non-temps du web, ce non-temps, temps de l'excellence ultra libérale qui par son absence enlève celui de la réflexion. L'anonyme doit exister, évidemment, forcément, il doit exister comme chaire a canon, comme pitance à l'ogre.

JCV : « Soyons clair : face à un texte, il n'y a pas 10000 attitudes possibles. Soit tu comprends, soit tu comprends pas. Si tu comprends pas, dommage ; tu peux lire des livres pour essayer de comprendre ... Ensuite soit t'es d'accord, soit t'es pas d'accord ; mais t'as pas besoin de savoir si l'auteur est un ex de la division Charlemagne ou Alain Minc avant de te decider ; tu es un grand garçon, et tu sais que 2+2=4. Y'a pas besoin de plus ».
Je n'en espérais pas tant !
2+2=4, dis-tu ?
2 pommes + 2 lézards = 4 ?
2 serbes + 2 kosovars = 4 ?
4 femmes ?
4 hommes ?
3 femmes + 1 hommes ?
4 chiens ?
4 ennemis ?
2 agresseurs + 2 agressés = 4 belligérants !

JCV : « c'est une sympathique tête de noeud qui n'est pas capable de savoir si un raisonnement se tient ou pas »
Il y aurait donc des raisonnements sans stratégie !!!
Des raisonnements détachés de toute intention !!!
Des raisonnements qui ne sont pas politiques !!!
Dieu existe JCV l'a rencontré !
C'est beau ! Les raisonnements qui tiennent droits tout seul, amidonnés par la voix de celui qui les tient, raisonnements qui défilent au 14 juillet sur l'air de « tiens voilà du beau et du vrai ». Tu peux les lâcher, tu peux les laisser voleter de leurs propres ailes dans l'éther commun, SUPER un raisonnement passe, prenons-le au vol, il est mignon, sa vérité est dans sa structure, merveilleux, je comprends, je suis intelligent !!!
On appelle ça, d'une tautologie mignonne : les vérités vraies - vraies par nature. Juger de la vérité sur sa silhouette, MAIS CE NE SERAIT PAS UN DELIT DE SALE GUEULE ÇA !
Ah ! l'information, l'histoire, la sociologie, la culture, les langues régionales etc. autant de domaines riches de vérités filles des raisonnements autonomes.

Si j'en crois les raisonnements logiques, irréfutables que des journalistes de bords opposés ont tenu pendant la guerre du Kosovo alors il va falloir me dire sur quelle base tu vas te faire une opinion à moins d'aller sur place comme Régis Debray avec le succès que l'on sait (je ne te rappelle pas les comptes-rendus de voyage des militants communistes en URSS à la « grande époque » !).
Si j'apprends que des agresseurs sont serbes, j'aime autant savoir qui le dit, si c'est un serbe, un séïde de l'OTAN, un myope, un kosovar ... .
Ainsi, il est important de savoir que tel historien spécialiste de la révolution française est royaliste !!! Que tel sociologue appartient à telle école !!! Que tel cubain énervé habite Miami ou La Havane !!! Que telle personne qui écrit sur le web a une histoire etc.
2+2=4 est une abstraction totale, et vouloir transformer le réseau en une même abstraction c'est le positionner dans un univers dangereux. Un univers dans lequel on oublie que celui qui écrit et celui qui lit sont avant tout et par-dessus tout des hommes engagés qu'ils le veuillent ou non.
Max Weber : « une portion seulement de la réalité singulière prend de l'intérêt et de la signification à nos yeux» - «Il en résulte que toute connaissance de la réalité culturelle est toujours une connaissance à partir de points de vue spécifiquement particuliers ».

Evidemment qu'il faut se battre pour que la possibilité de rester anonyme sur le web existe !
Evidemment qu'il faut se battre pour qu'il n'y ait pas d'obligation à s'identifier !
Evidemment qu'il faut se battre pour que chacun puisse choisir son ou ses « profils extérieurs ».
Evidemment qu'il faut se battre pour la « liberté schizophrénique » de chacun et que tous les Jean Claude Roman puissent s'épanouir sans danger pour les autres !
C'est la base même de la liberté.
Cet anonymat revendiqué est celui qui met l'individu à l'abri de l'oppression, de la perquisition « du flicage». Cet anonymat de principe étant acquis, c'est la responsabilisation libre et assumée qui donnera sa crédibilité à la subversion, à la critique, au jugement. Le reste n'est que foutaise.
Ma liberté et mes limites intellectuelles (l'omniscience n'est pas dans ma besace) me conduisent à choisir à qui j'accorde de l'importance, m'incitent à développer un réseau de confiance, des entrelacs de références, et ça je peux te dire c'est du boulot.
Permets-moi de citer Noam Chomsky répondant à l'un de ses élèves qui lui demandait comment l'élite contrôlait les entreprises : « ils n'ont pas à les contrôler, elles lui appartient » et toi Jean-Charles Vidal, a qui appartiens-tu ?
A personne me diras-tu ! Le croirais-tu ?

JCV : « Le reste c'est paresse intellectuelle, gout du flicage, esprit qui fonctionne par petites boites et compartimentages... ».
C'est exactement le contraire, le vrai travail d'information et de compréhension est celui qui consiste à mettre en relation, à créer son univers, à disposer ses balises. Inversement, le raisonnement qui se tient tout seul est la pire des escroqueries intellectuelles qui soit !
La démarche complexe qui consiste à tisser les écheveaux d'informations n'est pas possible à un esprit qui fonctionne par petites boites et compartimentages, il s'agit, au contraire, de globaliser, de macroscoper etc. Je voudrais juste ici citer le titre de l'un des indispensables éditoriaux d'Ignacio Ramonet dans le Monde Diplomatique « S'informer fatigue ».
Oui, s'informer fatigue, car le raisonnement sans les fondations, le raisonnement sans la maîtrise des paramètres n'est que parcellaire, faux par nature, trompeur, et malhonnête. Dans cette perspective « qui dit quoi » et « pourquoi il le dit » sont deux des éléments importants à intégrer au raisonnement.

JCV : « Pour une fois qu'on peut parler dans l'anonymat sans qu'on nous demande nos papiers, "t'es ki toi ?" ».
Les velléitaires de l'anonymat sont le plus souvent les séïdes de l'ultra libéralisme et de sa dissolution programmée de l'homme, de l'individu, de celui qui porte un nom et qui, à ce titre, existe. Ces mêmes velléitaires s'empressent de signer de leur nom PROPRE lorsqu'un parapluie est ouvert ou lorsqu'ils risquent ... les félicitations du jury.
L'anonyme ne fait que dire ce que lui-même, personne physique (au patronyme et à la généalogie revendiqués), ne peut pas (question de survie), ou n'ose pas (la chèvre et le choux sont des éléments importants de son microcosme), soumis qu'il est à la pression sociale.
Ceci dit, dans un message anonyme, l'anonymat est en lui-même une information capitale !!! Fondamentale !!! A ce titre elle est intéressante. La preuve, c'est parce que ton courrier ne l'était pas que j'écris ces lignes.
Encore une citation, elle vient de l'interview de Dantec dans l'évènement « la contestation n'est jamais un épiphénomène dans la société "capitaliste de troisième espèce" - "du spectacle" , "de la communication" elle est son fondement même ».
Ainsi l'anonymat et la déresponsabilisation qui va avec, SONT la contestation domestiqué du web. Le no man's land gentiment ouvert pour que s'y précipitent les gamins insûrs d'eux-mêmes !!
Les censeurs l'ont bien compris qui organisent le débat sur l'anonymat-tout-seul en détournant subtilement la vraie question qui est pourquoi l'anonymat ? Un chien (sauf Rantanplan) sait éviter les pièges !
Cette déresponsabilisation va de paire avec la déshumanisation liée à la mondialisation où l'individu n'existe plus et ce n'est pas en étant anonyme qu'on lui redonnera son importance.
Le consommateur revendique l'anonymat.
L'acteur s'en méfie !

Anonyme ou numéro c'est la même chose. Te souviens-tu des camps dans lesquels l'homme n'était qu'une suite de chiffres, c'était sa négation première ...
Kitétoi ! C'est l'indispensable, c'est le nomable, la peau, la seule chose importante.
Je t'appelle donc tu es !!!
Ah, si seulement tu avais lu jusqu'au bout le papier que tu critiques :
« ... il faut au minimum au départ un profil, quelque chose à se mettre sous la dent, un interlocuteur, un nom, des relations, une image. De chaire ou de vent ? A chacun de décider ! On se fout de savoir si Lacambre existe vraiment sous ce nom, si Arno est un pseudo, si Cloutier est vraiment le patronyme d'un sympathique barbu etc. L'important c'est qu'ils ont bâti des personnages crédibles, référencés, dont ont reçoit des échos. Ils existent et assument.
Ces pionniers ont pris le temps. Ainsi, avant d'e-xister, il faut commencer par exister. La gestation de l'e-personnalité passe par l'affirmation d'une silhouette. L'ours est cela, un bestiaire surnaturel de silhouettes floues qui mûrissent sous les clicks.
»

Ou donc es-tu allé pêcher : « ... un journaliste encarté qui lui est un mec sérieux et fiable » ? Si c'est une croyance dont toi-même tu essayais de te défaire c'est raté, il ne fallait pas inventer le problème là où il n'existait pas, c'est chelou mon gars !
Pour ma part, dans ce papier je me contentais de défendre, à travers l'exemple de l'édification des personnalités « internet », l'idée que le temps était l'unique réalité d'un monde virtuel, sa réalité choisie, et ne pas lui donner matière en l'utilisant comme fil à tresser des liens, c'est le perdre une seconde fois !!!
UZINE ne s'est pas faite en un jour !


"Architecte des fous" ; tel est mon titre. Locus Solus est mon oeuvre. Et R. Roussel un "journaliste" ému. Il n'y a pas de "Comment j'ai écrit certains de mes livres". Ces lieux empoissés de magie, je les ai construits sur les ordres du magnat perdu.
J'ai suivi comme une ombre furtive Gaudi pour que s'élèvent la Casa Balto et le Parc Guell
Une nuit emplie de pipistrelles, j'ai susurré à l'oreille du Facteur Cheval, dans son sommeil, les proportions et galbes du Palais.
J'ai enfin construit le bateau aux pattes surnuméraires et suis parti vers les îles noires, près du pôle antarctique. C'est depuis là-bas que j'envoie mon message.
Il serait dommage que l'auteur de ces lignes, soit anonyme.
Il le pense d'ailleurs lui-même, au point qu'il ne l'est pas.

J'avais évoqué cette idée de référentiel dans une contribution au débat sur la critique cinéma qui a fait florès dans les journaux il y a quelques mois.

Critique critique.

« Voilà comment le lecteur lambda, un de ceux qui fait partie de la grande famille « des gens » (ceux qu'on met à toutes les sauces) utilise les critiques professionnelles d'un journal et de libé en particulier.
Des années de lecture quotidienne d'un canard d'information générale permettent d'avoir ses propres repères et une série de balises le long des pages. Je connais les journalistes par leurs noms, je les reconnais également par leurs opinions. Libé est un outil, comme un marteau ou une barre à mine. Libé n'est pas un journal au fond duquel on va chercher un message, non ! Ce que j'y trouve ce sont des rendez-vous, par exemple celui du cinéma avec les opinions des « spécialistes ». La critique de libé est importante non pas en elle-même ou sur le fond mais par sa position post-it, qu'on regarde intensément avant de la jeter.
Ainsi j'ai dans ma boite à outil plusieurs ustensiles :
un tournevis : infos factuelles, réalisateur, acteurs, producteur
un marteau : critique de libé ou du monde etc.
une clé à mollette : ce qu'en dit france inter
une scie égoïne : les échos de mon entourage
une perceuse électro-pneumatique : ma curiosité
un rabot électronique à polarisation méga ionisante : mon expérience.
C'est le travail simultané de ces outils qui va m'inciter ou non à aller me faire une opinion personnelle. Je sais par exemple que si tel ou tel critique intelligent a un avis positif, je n'aimerais pas, et inversement ! Tout le problème est dans l'apprentissage, l'initiation, il faut du temps comme avec tous les outils pour apprendre à s'en servir, à les régler, à les paramètrer avec ce qu'on a déjà lu de l'auteur, ce qu'on sait de sa vie etc. C'est un long chemin. Libé m'est précieux car j'en connais le code de sa route. L'excellente biographie de Jean Guisnel confirme la justesse de cette attitude. Libé oui, mais libé tout court sans « ration » « ralisme » « llule » ou « rticide ».
Parmi mes pôles de références : Dahan, Marcelle et Lançon, autant de personnages totalement virtuels.
»

Illustration : Le « témoignage direct d'un anonyme ».
Jean-Charles, tu lis et tu'm'dis quoi !

Il est vivifiant de n'être pas d'accord.

Nicolas Woerner, pour « le Soleil se lève à l'Aise »



Nicolas Woerner © le Soleil se lève à l'Est - 01/07/2000 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum