Les adolescentes maghrébines à la recherche d'une identité.
L'une des méthodes les plus faciles à utiliser pour expliquer ou justifier telle ou telle crise sociale consiste à stigmatiser une population particulière, un groupe de personnes identifiées par des qualités prétendument originales plaquées sur une réalité infiniment plus complexe. Ainsi, dans les difficultés économiques que nous vivons, il est des plus aisé de braquer sur l’immigrant tous les ustensiles focalisateurs, grossissants donc réducteurs; bref, tous les médias. Jeter l'opprobre sur les immigrés de première, deuxième ou Xième génération est commode et même confortable. Sont ainsi mis en valeurs, les actes de délinquances commis par certains de ces jeunes adolescents, garçons, évidemment. Si cette réaction est significative d'une tendance irréductible à la simplification des problèmes, elle est aussi intéressante à étudier par les omissions qu'elle révèle.
Pour le "zupien lambda" il est d'évidence que de nombreux problèmes sociaux existent et touchent en particulier les jeunes d'origine maghrébine. La simple logique voudrait qu’ils les concernent tous, y compris leurs soeurs.
Des filles ? Oui il y en a. Dans toute ZUP il y a des femmes, donc des filles, des jeunes filles et des petites filles (CQFD). Or que se passe t-il ?
Il y a bien des petites filles et leurs mères, mais entre les deux : rien, no comment, no woman's land.
Où sont passées les adolescentes maghrébines ? :
- elles se manifestent peu dans la vie du quartier ;
- elles sont presque absentes des camps de vacances.
Quelle vie sans tache vivent elles ? :
- elles ne sont pas impliquées dans les actes de délinquances qui font la "une" des journaux locaux ;
- l'échec scolaire est beaucoup moins important chez elles .
Pourtant, de confidences en confidences, de discussions en discussions, l’image sans faille de leur vie se brise pour laisser place à une multitude de problèmes. Il apparaît que loin d’être anodins, s’ils sont souvent discrets quant à leurs expressions, il n’en sont pas moins graves, parfois même dramatiques.
Une enquête réalisée auprès de dix huit adolescentes maghrébines révèle un malaise qui s’exprime le plus souvent de manière silencieuse. Les actes les plus graves ne sont "que des suicides". Pas de publicité autour, pas de bus brûlé ou de rodéo dans les rues, rien qui puissent intéresser les institutionnels du social, de ce social qu'on regarde et qu'on "traite"; les spécialistes du "foulard".
Période critique, étape de turbulence dans une vie qui s'esquisse, l’adolescence porte ses propres problèmes en bandoulière. Ils se cumulent à ceux vécus par ces jeunes filles. Prises entre les trois oppositions suivantes elles éprouvent des difficultés non seulement à dessiner leur avenir mais à vivre tout simplement :
- opposition de deux modèles féminins : mère maghrébine et femme occidentale ;
- opposition de deux systèmes d’éducations : laïque et religieux ;
- opposition des adolescentes à leurs parents, adolescentes rebelles à l’autorité en général.
Nous rajouterons un item important, une quatrième opposition, ou plutôt une contradiction : les filles et garçons maghrébins, nous l’avons vu, s’expriment dans la difficulté de manière différente or, et c'est ici que contradiction il y a, les grilles de lectures sont elles, exclusivement masculines. Elles sont au service des personnes agissant en prévention : en grande majorité des hommes. L'omission dont nous parlions précédemment trouve son origine ici.
Il y a donc un décalage important entre le "vécu" quotidien de ces jeunes filles et la vision perçue par les acteurs sociaux. Il est facile de comprendre les réticences qu'elles peuvent avoir à se confier à des hommes ou à "s'exprimer" dans la maçonnerie, l'électricité, le foot ou la boxe. On constate une collusion de facto entre les éducateurs et les frères pour éviter de s'embarrasser de problèmes périphériques extra "homo-erectus". Omission ?
Nous parlions de cumule des oppositions, il faut l'entendre au sens arithmétique du terme, un problème plus un autre plus un troisième plus un décalage entraînent vite une situation intenable dont les seules issues sont, soit la négation totale d'une identité de femmes entr'aperçue, soit la fuite réelle, la fugue, parfois même le suicide. Il existe évidemment des chemins de traverses à ces autoroutes de l'avenir noir, il s'agit de l'expression à travers le métissage culturel.
Si le sport est souvent montré en exemple comme voie possible vers l'intégration, comme chance donnée aux garçons, il nous a semblé intéressant de favoriser l'expression artistique des filles. Danse, théâtre, comédie musicale, autant d'outils qui sont séduisants pour les raisons suivantes :
- la mise en valeur de l'un des aspects positifs du statut social de leur mère : la danse ;
- le métissage possible : danses traditionnelles/danses modernes ;
- la possibilité qu'ils offrent de se réapproprier leurs corps, corps souvent nié ;
- les aspects créatifs : chorégraphie, écriture de scénario;
- l'ouverture vers les autres qu'ils supposent, aussi bien dans la recherche de lieux de spectacles que lors des représentations ;
- la confiance en soi retrouvée devant le succès et l'intérêt manifesté par toutes les composantes de la famille, devant les applaudissements de tous les spectateurs, sanctionnant un long travail.
Commencée avec deux spectacles, cette démarches continuera l'année prochaine. La rentrée verra d'autres filles prendre en main la troupe qu'elles ont elles-même baptisée "évasion", une continuité apparaîtra là où aujourd'hui n'existait qu'incertitude.
Des personnalités se révèlent, des désirs s'expriment, puissent elles et ils évoluer ensemble !!!
Avec la généralisation commence la caricature, cette enquête suivie de la mise en place d'ateliers a pour objet, aussi, de lutter contre les simplifications. C'est pourquoi ces quelques mots au service d'un travail sont ceux d'un témoignage, d'un court métrage concernant une ZUP à un moment donné. Ils doivent être compris comme tels.