Ours mangeur de webmaster
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Ours mangeur de webmaster

Les sites internet ont la particularité de ne donner le plus souvent que peu d'information sur les gens qui les conçoivent, qui les gèrent, qui les animent. Nous ne parlons pas ici évidemment des pages personnelles et autres sites à la gloire de leurs concepteurs. Le plus souvent, ces narcissites incontinents, dégoulinant de mièvreries sont à l'opposé de ceux qui nous intéressent ici ! Non, nous stigmatisons l'opacité rencontrée sur beaucoup de sites d'informations, de sites alternatifs ou d'associations. Ces lieux de rencontres sont souvent construits par des passionnés bénévoles, des enthousiastes de la liberté d'expression, des amateurs de musique ou de littérature, des forcenés de l'individualisme dont on ne sait rien. C'est dommage.

Cette opacité ôte généralement toute crédibilité à un discours quel que soit son sujet, ainsi qu'aux pages quel que soit leur design. Le surfeur qui débarque a la réaction normale de celui qui cherche à connaître son interlocuteur, il tente d'identifier l'auteur. Cette identification n'a pas pour objectif de ficher tel ou tel mais de permettre le référencement des textes et des infos en leur donnant un « cotexte » aussi important que le texte lui-même. Une fois posé dans son référentiel personnel, le surfeur pourra le juger à l'aune de son expérience, de sa culture, de ses informations. Oui, le surfeur cherche à juger, il cherche à savoir, il cherche à situer dans son « monde » (ainsi parle t'on dans les jeux vidéos), il cherche à tisser des relations.

Quand un internaute débarque sur un site, il commence par se faire une idée du look, il remarque les animations, les titres, la structure de la page, les couleurs, il cherche à savoir comment naviguer et s'orienter, puis il cherche la liste des liens conseillés, le bookmark de l'auteur (c'est souvent là que l'on perçoit ses tendances politiques comme ses goûts), ensuite il jette un coup d'oeil sur le plan. Si le site lui plaît, il se pose l'inévitable question : qui est derrière tout ça ? Et, le plus souvent c'est le désert.

Quoi de plus frustrant que d'arriver sur une page séduisante, une page qui semble proposer des rubriques intéressantes, une page qui privilégie le contenu plutôt que la séduction « Las Vegas » ? Quoi de plus énervant que d'avoir le désir d'accorder de l'importance à quelque chose et d'être incapable de la relier à d'autres éléments auxquels le temps et l'expérience ont donné une crédibilité ?

Une des phrases emblématiques du réseau est la suivante : sur l'internet personne ne sait si vous êtes un chien ou un homme ! Un chien ou un con, un chien ou un facho, un chien ou un pédophile, un chien ou une araignée, un chien ou un truand, un chien ou Tibéri.

Voilà pourquoi un ours (dans un journal, l'ours est la partie synthétique qui donne des informations sur l'organigramme et les fonctions de chacun) est indispensable, un ours qui présente des noms, un cv, un profil, autant d'éléments auxquels on peut accrocher une histoire, une expérience. Sont-ils vrais ou faux ? Ce n'est pas le plus important ! C'est au fil du surf que les profils s'enrichiront. Savoir qui est qui hors réseau est peut être intéressant mais savoir qui est qui dans ce monde irréel est encore plus passionnant. Comment vit-il ? Comment est-il perçu par les autres ? Quels sont les échos reçus par les références croisées ? etc.

Pour ce faire, il faut au minimum au départ un profil, quelque chose à se mettre sous la dent, un interlocuteur, un nom, des relations, une image. De chaire ou de vent ? A chacun de décider !
On se fout de savoir si Lacambre existe vraiment sous ce nom, si Arno est un pseudo, si Cloutier est vraiment le patronyme d'un sympathique barbu etc. L'important c'est qu'ils ont bâti des personnages crédibles, référencés, dont ont reçoit des échos. Ils existent et assument.

Ces pionniers ont pris le temps.
Ainsi, avant d'e-xister, il faut commencer par exister.
La gestation de l'e-personnalité passe par l'affirmation d'une silhouette.
L'ours est cela, un bestiaire surnaturel de silhouettes floues qui mûrissent sous les clicks.




Nicolas Woerner © le Soleil se lève à l'Est - 09/04/2000 - Ville de Talange - Nauroy-Rizzo - micro-Momentum