(ou l'homme désengagé)
Sur l'internet l'acteur est supplanté par le voyeur.
C'est l'axiome dit de "mutation illusion" selon lequel le clic de la souris ne remplacera jamais un bon coup de marteau sur un clou doigt, selon lequel ce même clic n'est qu'une pseudo-action. Pseudo-action en raison du décalage infini entre le minuscule geste qui consiste à appuyer sur l'oreille de la souris, translation d'à peine quelques millimètres et ses conséquences possibles. Il n'y a pas d'implication physique de l'auteur tant la facilité et la banalité du mouvement le rendent trivial. Pas de foulure d'une articulation ou d'écrasement d'un ongle en perspective, rien. Pseudo-action également en raison de l'éventail de tous les traitements différents produits par une seule et même pression du doigt. Mille clics identiques, clics clones, peuvent entraîner autant de conséquences diverses. L'internaute est hors de l'action, loin de son lieu d'exécution. Il ne risque rien.
Il n'a d'influence que sur l'image de l'action, il vit brièvement par procuration non pas une tranche de vie comme le spectateur du match de foot qui au stade chante avec sa tribu barbouillée et distribue copieusement du beurre-noir à ses voisins, non, il vit par procuration l'image d'une vie (sic). L'internaute joue à la vie, il joue à colin-maillard. Le jeu consiste à voir ou ne pas voir, c'est tout. Ainsi la maladie de l'acteur-engagé-moderne s'appelle escarres aux fesses et digit-ampoules. On est loin des actions tonitruantes d'un James Bond de série B, d'un militant syndical piquet de grève, d'un éboueur, d'un alpiniste sur le pilier Bonatti, d'un cultureux qui porte dans sa poche le livre qu'il va lire, ou du cuisinier corvée de patate. Toutes ses activités laborieuses sont zieutées sans commisération par l'internaute inter-actif (à défaut d'être hyper-actif) qui parfois tapote et souvent parlote à son ?????? d'écran et à ce réseau de ????? qui ne répond jamais.
Sur l'internet l'ubiquité est Reine (triste).
C'est le postulat dit du "clone clown" qui fait rêver le quidam. Y être ou ne pas y être, tel est le critère de modernité. Etre où ? A l'autre bout du clic !
Comme s'il y avait une dématérialisation du cliqueur suivi d'un voyage speedy-gonzales de ses molécules vers un lieu précis puis de sa rematérialisation (re-création ? résurrection ?) dans une gerbe de photons accompagné d'un bruit énorme, transmit évidemment selon la norme
MIDI.
Or, si le doigt est effectivement posé sur la souris sise sur son tapis-pub en un endroit que nous considérons comme étant l'un des bouts possibles, son bureau ; Que trouve t'on à l'autre extrémité ? Rien ! Le clic de la souris retentit tout seul, il résonne dans un no man's land, il jette une volée d'électrons comme l'aborigène propulse son boomerang qui lui revient parfois en pleine figure sur une saute de vent. Miracle, sur l'écran apparaît quelque-chose de distinct (le boomerang reviendrait-il déjà ?) qui, avec l'amélioration constante de la technique vidéo, devient crédible, réaliste et évolue même vers l'hyper-réalisme c'est à dire le plus vrai que le vrai, tellement plus séduisant qu'il sert de modèle au vrai. S'agit-il d'une création ex-nihilo ? L'histoire des déserts et des apparitions qui ont changé l'humanité plaiderait pour un "oui" adorateur (on a vu des internautes avec des bleus aux genoux).
La jeune légende de l'informatique, malgré le nom vétuste (sortit de l'oubli) dont sa francophone machine-outil fut baptisé, "
ordinateur", en d'autres termes Dieu, cette histoire quasi-instantanée de l'informatique plaiderai vigoureusement pour un "non" rouge pétard. Ainsi l'homme fait l'ordinateur à son image de plus en plus ressemblante (beau paradoxe), puis il connecte l'ensemble des machines comme un filet de neurones synthétiques qui enveloppe la terre. Il simule le "Tout", ou "Dieu" et lui donne une image moderne : le grand architecte de l'universelle connexion tient dans un filet une boule de vie bleue appelée Gaïa ; l'internaute aperçoit l'apparition, il l'identifie tout de suite avec sa grande barbe blanche, son chapeau pointu rouge, son long manteau de la même couleur, il sourit aux anges et cherche le sapin, les bougies et les cadeaux.
Celui qui regarde l'internaute est un peu étonné de le voir penché vers sa lucarne avec sur le visage des signes de ravissements complets. Le héler n'est pas chose facile, il n'entend rien et quand enfin il sort de sa bulle, l'impression de le voir s'extirper d'un autre monde est réelle. On voit d'abord des doigts sortir de l'écran et s'agripper aux côtés puis une tête qui apparaît, l'effort doit être violent tant les yeux sont fatigués, ensuite, poussant sur ses bras (comme s'il quittait son pantalon !) le corps entier émerge. Il ressemble à un
thanatau fatigué revenant de vacances. En fait d'ubiquité il a expérimenté l'effet serpillière, corps sans armature vertébrale qui sert à éponger les inondations de quelques sortes qu'elles soient et en particulier les raz de marées d'images.
Sur l'internet il y a autant de centres du monde que d'individus connectés.
C'est le souhait du butineur, être au/le centre du monde : non pas pour l'occuper comme un envahisseur prend ses aises dans une colonie exotique, mais pour s'y implanter comme un arbre grandit. C'est ainsi, l'internaute est le démiurge d'un personnage extraordinaire (lui), seul héros d'un monde minuscule dont les contours sont les murs de son bureau. S'y décalquent mille créatures volatiles. En voyage le butineur est seul, euphorique, concentré, captivé, focalisé et sans la salutaire et encore possible comparaison qu'il peut et doit faire en permanence, cette balade serait sans retour. Comparaison entre les deux
carrés du salon : l'écran et la fenêtre (si la parabole n'est pas fixée devant les carreaux) qui s'ouvre sur le bruit, les odeurs d'essence, l'orage et les sirènes mél(odie)odieuses des flics à la poursuite d'un
hacker en mobylette.
Le butineur clique. Il clique beaucoup. On le dirait en quête d'une réponse, en recherche d'un "clac allô oui j'écoute". Son clic est en quelque sorte un clignement d'oeil comme une bouteille à la mer. L'internaute drague. Il essaie d'attirer sur l'écran les faveurs d'un non-habitant du no man's land.
L'internaute fait l'intéressant et le beau, il s'est fait retailler le nez, tirer la peau, colorier les joues et porte un noeud papillon. Cherche-t'il le contact lointain ? Non, car contrairement à l'idée reçue le réseau ne sert pas à rapprocher les gens éloignés, mais tout simplement à filtrer les contacts et peut être aussi (en catimini) à les tenir à distance, à s'en protéger à les aseptiser. Le cliqueteur est à la poursuite du contact "hygiaphone". La rencontre physique implique un minimum d'engagement, un serrage de main, une bise sur la joue, l'intrusion dans la maison ..., ce contact implique une responsabilité même minime. L'authentique mission des outils de télécommunications apparaît ici, elle consiste à mettre à la disposition de l'individu un on-off sécurisant. Son arrière-petit-fils envoyait des photos par la poste, lui, échange les mêmes images à une différence prés, elles ne sont pas prétexte à la rencontre, elles sont la rencontre elle-même. Cette déresponsabilisation habillée des oripeaux récoltés sur un épouvantail nommé "liberté" s'accompagne d'une profonde aliénation au matériel, au logiciel, à la chose. Cette faculté de dire non, de choisir, de trier suppose que l'on ait à sa disposition l'instrument qui permette de le faire (ce n'est pas difficile il suffit de payer !). La déresponsabilisation entraîne la dépendance vis à vis de l'interface qui comme le préservatif se glisse entre toi et moi. C'est ainsi que l'homme sans objet utilitaire n'est qu'une bête vile qui touche son compatriote qui lui parle et échange avec elle-lui-eux toutes sortes de choses, des injures, des chiquenaudes et des mauvaises odeurs mais aussi des mots d'amour, des caresses et d'obsédants parfums de chair.
La logique est évidente, c'est celle du désengagement, de la déresponsabilisation, de l'interfacisation qui guillotine l'identité de l'individu. (..."facisation" et non pas "fascisation" malgré l'homophonie révélatrice d'une parenté infiniment plus profonde que le simple jeu de mot pourrait le laisser penser). Il perd son nom remplacé par un pseudo, il perd son adresse remplacée par une série de signes abscons. Tout le reste de sa réalité est remplacée par des images : l'odeur, la voix, la matière etc. C'est probablement ce qu'on appelle la société du spectacle. Spectacle non spectaculaire, spectacle solitaire, spectacle ordinaire.
Le centre du monde espéré n'est qu'une cellule avec des images collées aux murs.
C'est un centre du monde étriqué, centre d'un microcosme rassurant dans lequel il fait bon se tenir au coin du feu cathodique et "cocooner" paisiblement devant le monde dénaturé puisqu'en représentation permanente.
L'axiome était un théorème, le postulat une bêtise et le souhait une illusion.
Pas d'action, pas d'ubiquité et pas de centre du monde, c'est un vrai butineur de sites web en éclosions, un chasseur d'autres vérités qui vous le dit, j'ai nommé le commissaire Fauss'piste6.